samedi 20 mars 2010

I wanna be a Gonzo journalist !

Hunter S. Thompson était au journalisme ce que Kerouac, Burroughs et Bukowski furent à la littérature et aux excès en tous genres. Comme son imposante biographie signée William McKeen sort ces jours-ci en français sous le titre "Journaliste et Hors la Loi" (critique à venir sur ce blog), je devrais en parler au présent.  Mais j'en parle au passé. Car Hunter Stockton Thompson s'est suicidé d'un coup de revolver dans la tête, le 20 février 2005, à Aspen Colorado. Il avait 67 ans et avait pris une retraite définitive - du monde et du journalisme - depuis des années déjà, déclarant ne plus rien vouloir produire "dans une nation dirigée par des porcs", l'Amérique des Bush Père & fils. J'en parle au passé aussi, parce que la conception du métier qu'il incarnait et a inventé - le "gonzo journalism" -  ce journalisme de récit littéraire, subjectif, sauvage et halluciné (pour en savoir plus allez faire un tour sur Gonzo.org) - est aujourd'hui en voie de disparition. Tout comme le journalisme d'investigation. Et en bonne partie pour les mêmes raisons.
Quel quotidien, quel magazine "sérieux" publierait un article commençant par ces lignes aujourd'hui ?
"Étranges souvenirs par cette nerveuse nuit à Las Vegas. Cinq ans après ? Six ? Ça fait l'effet d'une vie entière, ou au moins d'une Grande Époque — le genre de point culminant qui ne revient jamais. San Francisco autour de 1965 constituait un espace-temps tout à fait particulier où se trouver. Peut-être que ça signifiait quelque chose. Peut-être pas, à longue échéance... mais aucune explication, aucun mélange de mots ou de musique ou de souvenirs ne peut restituer le sens qu'on avait de se savoir là et vivant dans ce coin du temps et de l'univers. Quel qu'en ait été le sens..."
("Las Vegas Parano")
 hyperformatage 
Dans la plupart des médias, la narration écrite, sonore et visuelle est désormais hyper-formatée. Accroche, déroulé, chute...tous les sujets sont traités à la même moulinette normative. Chaque article, chaque lancement radio ou télé doit rentrer dans le même cadre préétabli. Surtout ne pas surprendre, ne pas déstabiliser le lecteur, l'auditeur, le téléspectateur...Le journaliste français, notamment, s'aventure de plus en plus rarement en dehors des techniques journalistiques et des clôtures stylistiques acquises lors du fameux double cursus "idéal" Sciences Po + CFJ.  Cela tombe bien : les journaux sont de moins en moins demandeurs de reporters, enquêteurs, chroniqueurs et autres aventuriers plumitifs qui sortent du cadre. Ils n'en ont plus ni l'envie ni les moyens. Place à l'info standardisée et aux économies d'échelle rédactionnelles. Envoyer un Gus faire le gonzo journaliste dans le désert du Nevada au moment où la presse coule à pic comme le Titanic ? Vous n'y pensez pas !
Incapable de s'adapter à la révolution internet, d'inventer de nouveaux modèles pour faire payer l'information dans un monde où la gratuité est la règle, la vieille presse est en déroute. Les grands quotidiens, les grands magazines, sont paniqués comme des "Newsososaures" devant le raz-de marée numérique qui balaie leur monde. Leurs ventes au numéro s'effondrent, leurs recettes publicitaires fondent comme neige au soleil sous l'effet du grand réchauffement digital. Et la nourriture nécessaire à leur survie se fait rare : il n'y a pas ou peu de nouveaux revenus sur le Web. Les annonceurs tirent les prix de la pub toujours plus bas et les internautes ne veulent pas payer pour l'info comme l'a encore démontré récemment une étude du Pew Research Center

Leur débandade aurait fait ricaner Hunter S. Thompson, lui qui, par nature, adorait le chaos porteur de processus créatif . Ses articles et ses récits qui sont devenus des livres comme "Hells Angels" (une formidable enquête de terrain qui le conduira à l'hôpital après ce qu'il qualifia de "querelle éthylique spontanée") ou encore "Las Vegas Parano" (un reportage sur une course de motos dans le désert qui se transformera en quête mythique du rêve américain sous LSD) en sont les meilleurs témoignages.
J'entends d'ici le rire sardonique de ce véritable émeutier du journalisme qui dans les Sixtie's publia les meilleurs articles du moment sur le mouvement hippie dans le "New York Times", avant de travailler pour "Esquire" ou "Rolling Stone", puis de signer un contrat d'auteur dont les agents de Random House se souviennent encore. Plutôt que de se lamenter avec les pleureuses de la "Mediapocalypse", rions un peu avec Hunter et cette petite vidéo compilant les meilleures scènes du film adapté de "Las vegas Parano" (avec Johnny Depp méconnaissable dans le rôle de Thompson).
Mais c'est vrai, un peu de sérieux, car dans la débandade de ces dinosaures de l'info, c'est tout un écosystème professionnel et démocratique qui est aujourd'hui menacé.
En route vers l'info-burger
Le processus se déroule sous nos yeux :
  1) Dans un premier temps,
les rédactions des journaux sont décimées par les plans sociaux. Et désincarnées par la rationalisation quasi-Tayloriste du travail à coup de nouveaux systèmes informatiques et de production "online" en batterie. Les journalistes survivants - majoritairement les plus jeunes et les moins expérimentés, les plus souples et les moins forcenés - sont alors soumis au diktat du "marketing éditorial" et de concepts venus d'outre-Atlantique dont le principal avantage est de pallier le manque de moyens humains (le "data journalisme" auquel j'ai consacré ce billet à charge en est un bon exemple). C'est ce que nous vivons depuis déjà plus d'une décennie dans le métier.
2)  Conséquence mécanique de cette logique 100 % comptable qui veut que les journaux deviennent "des entreprises" (et rien que cela) déclinant leur "marque" (sic), et l'information "un produit" (et rien que cela), c'est le nivellement par le bas des exigences morales et professionnelles qui menace, la perte de sens et des repères déontologiques qui guette. Nous sommes en plein dedans.
3) Au stade final, on assiste au dépôt de bilan et à la fermeture des journaux, puis à la disparition progressive du pluralisme de l'information écrite au profit des mêmes dépêches dupliquées à l'infini sur Google News et des médias audiovisuels qui privilégient de plus en plus la forme sur le fond...quand ils ne sont pas au journalisme ce que le fast-food est à la restauration.

C'est sûr, Hunter S. Thompson n'aurait pas du tout aimé cela. Il partirait dans de folles diatribes, cracherait par terre en soufflant la fumée de son éternel fume-cigarette par les oreilles, agonirait d'injures les responsables de ce désastre : le Kapital, les patrons de journaux, les journalistes, les lecteurs, la technologie, Internet, les internautes, la consommation, le prêt à consommer, l'inculture et la culture du vide...bref collectivement NOUS. Mais dans le désastre qui fait aujourd'hui de la presse une Siderurgie 2.0 (j'emprunte le concept à Pierre Chappaz) nous sommes encore quelques uns, journalistes professionnels, a essayer des chemins de traverse, faute de pouvoir prendre le maquis. On nous accuse d'être réactionnaires, rétifs au changement, aux "réformes" (le mot a tellement été "retourné" comme un gant sur le plan sémantique). Parce que nous n'adhérons pas à la logique du flux pour le flux, du toujours plus avec moins, du journalisme "Shiva" multitâches, du rédiger toujours plus court, toujours plus vite, toujours plus mal... Parce que nous moquons les nouvelles modes et refusons l'illusion que le tout-technologique sera la Panacée de la crise des médias. Ce scientisme est parfois poussé jusqu'à l'absurde : avez-vous déjà entendu parler du "robot-journalisme" auquel j'ai consacré ce billet ?

 Aux avant-postes du front numérique
Mais dans les faits, ceux qui restent attachés à la mission première du métier (la recherche d'une information originale, sa vérification, sa narration dans les règles de l'art pour le plaisir d'écrire et de lire) sont souvent aux avant-postes du front numérique. Au coeur de l'expérimentation journalistique ET technologique. Dans le partage communautaire de l'info avec les confrères ET les lecteurs. Sur les blogs, sur Twitter, ou ailleurs... Nous sommes mêmes quelques uns, quadras et quinquas élevés au lait quotidien des "A la" et des bouclages à l'ancienne, à avoir faire notre mue 2.0 voire 3.0. Bref à être débarrassés de tout sentimentalisme pour l'ancien monde de l' imprimé. Celui de Gutenberg, des rotatives, des grèves du Livre CGT et des liasses de journaux livrés aux kiosques aux premières lueurs de l'aube. Laissons le mourir ce vieux monde puisque les lecteurs d'aujourd'hui n'en veulent plus (...mais pas trop vite quand même car il nous fait encore bouffer ;-).
Regardez autour de vous dans les métro parisien : il y a certes encore des gratuits entre les mains des voyageurs (puisque ce sont des gratuits), mais "Libé", "Le Monde" et les autres quotidiens payants sont des espèces en voie de disparition. Les moins de 35 ans consomment désormais  l'info sur l'écran de leurs smartphones, leurs ordis et bientôt leurs tablettes. C'est irrémédiable. Qu'il meure donc ce vieux monde du papier puisqu' il va forcément renaître sur le Web sous d'autres formes (la nature a horreur du vide et savoir ce qui se passe dans le monde ou en bas de chez soi est l'un des besoins essentiels de l'humanité), en donnant naissance à de nouvelles expériences journalistiques individuelles, collectives et communautaires. [A ce propos spéciale dédicace à tous ceux qui tentent de réinventer le journalisme en le mettant à l'heure du web participatif, chez Rue89, Owni.fr , Electron Libre, j'en oublie...et aussi à ceux qui remettent au goût du jour le journalisme de récit comme les gens de la revue "XXI"].

Et puisqu'il faut savoir terminer un billet, je parlerai donc d'Hunter S. Thompson au présent : "I wanna be a gonzo journalist" ! Je l'ai exprimé d'une autre manière dans d'autres billets. Je le redis ici. L'époque n'est pas porteuse pour le journalisme de récit, d'enquête et de reportage avec du panache, du nerf et des tripes. Ce journalisme engagé qui revendique l'honnêteté subjective plutôt que de s'abriter derrière une fausse objectivité bien hypocrite est pourtant à mon sens l'un des meilleurs moyens de ramener le lecteur à s'intéresser à la presse.  Car le lecteur est sans doute moins con qu'on ne l'imagine : quand on lui sert autre chose que de l'info-burger et de l'eau tiède, il en redemande. Et si on le surprend, on l'interpelle, il est prêt payer pour voir, lire, apprendre, voyager et s'aventurer hors des frontières de  l'actualité pré-machée. C'est en tout cas ma conviction. L'époque est peut-être aux OS de l'info et au "temps de cerveau disponible".  Mais il n'est pas trop tard pour changer l'époque. Cela tombe bien la révolution numérique va nous y aider.
Jean-Christophe Féraud

23 commentaires:

  1. " L'époque n'est pas porteuse pour le journalisme de récit "
    Je ne sais pas justement. Pour moi, la seule façon de sauver le journalisme c'est justement de faire un journalisme de récit. C'est la ou les journalistes vont donner de l'original par rapport aux gratuits et aux blogs. Faire des enquêtes longues et originales, c'est l'avenir du journalisme.

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  2. Merci pour ce billet passionné, et joli plaidoyer pour le "journalisme de récit", que l'on voit encore (parfois) dans Le Monde sous quelques plumes aguerries, comme Yves Eudes.
    Après, tu le dis toi-même, Hunter S. Thompson était contemporain de Kerouac, Burroughs et Bukowski. Une autre époque...
    D'un autre côté, certes,le journalisme de récit se raréfie, tout comme ses formes proches - le journalisme d'investigation, les services enquêtes se réduisant au sein des journaux (2 journalistes d'investigation à L'Express, il me semble...).
    Il n'empêche, comme tu l'évoques, face au formatage, aux risques inhérents des "journaux-entreprises" marketés à mort, des alternatives émergent sur le web notamment, que les journalistes s'approprient de plus en plus : en ouvrant des blogs, en collaborant à de nouveaux media collaboratifs en ligne (Owni, EL..), en collaborant à des media indépendants et inventifs (XXI)...
    Et, mieux encore, en expérimentant de nouveaux formats, de nouvelles d'écriture journalistique, comme le webdocumentaire, qui se prête bien à des travaux d'enquête et de récits engagés. A suivre...

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  3. Même remarque que le renégat à propos de la phrase: " L'époque n'est pas porteuse pour le journalisme de récit " (à laquelle je suis certain que tu ne crois pas une seule seconde). Et tu connais mon engagement en faveur de ce type de récit, d'enquête.
    Bien qu'indépendant, je me suis toujours débrouillé pour avoir le temps et les moyens de survivre le temps d'une longue enquête (qui ne sera, sauf miracle, jamais rémunérée, et très loin s'en faut, proportionnellement au travail et au temps consacrés), quitte le plus souvent à m'y lancer en parallèle aux articles quotidiens. Comme quoi cela est possible. Et qu'on ne me dise pas que les journalistes salariés n'ont pas le temps pour le faire, il y a toujours dans leurs journées des heures pour travailler sur autre chose que l'actu du jour. Reste à être motiver et à accepter ses conséquences parfois "politiquement" (je veux dire à l'intérieur de son journal, pour la maintien à son paisible poste) difficiles.
    J'ai pourtant une nuance à apporter à ton gonzo cri: être subjectif, engagé, oui, mais en restant honnête. Libé a justement aujourd'hui bien du mal à se relever pour l'avoir oublié pendant de nombreuses années et avoir ainsi perdu de très nombreux lecteurs, curieux et intéressés par un point de vue décalé mais lassés par le mensonge par omission ou par la mauvaise foi.

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  4. pour répondre à le Renégat

    çà rebute peut être certaine personnes mais perso j'aime aussi sur les blogs que le journaliste ait mené l'enquête et me propose un article avec lien s'il le faut et le plus complet possible genre dossier car pour le reste des petits articles qui poussent comme des champignons y en a à la pelle donc petit à petit je vais plus consulté le blog en question .....j'ai moi même un blog oû je ne publi que rarement car je ne veux plus faire du remacher inutile .....et ce journalisme burger a de beaux jours devant lui car les gens manquent cruellement de temps puis s'en détourneront car ils trouveront que c'est de l'info parasitant leur cerveau car ils amoindrissent notre capacité d'analyse lol

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  5. Je connaissais pas Hunter Thompson, je vais y regarder de plus près.

    Ceci dit, on peut avoir moins de 35 ans et aimer Kerouac, Camus et autres révoltés ;) Et je pense même que l'uniformisation actuelle sera le terreau de sa propre remise en cause. J'espère ne pas être trop optimiste en pensant que le gonzo n'en est qu'à ses débuts...

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  6. Et si le gonzo-journalisme était aujourd'hui mieux incarné par la blogosphère, justement, plutôt que par le monde sclérosé de la presse-qui-sent-l'imprimé ?

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  7. Merci à tous pour toutes ces réactions très sympas et encourageantes !
    - A rénégat je dis quand j'écris "L'époque n'est pas porteuse pour le journalisme de récit " c'est un constat in situ au vu de mon expérience dans les rédactions parisiennes. J'ai notamment été "enquêteur" à La Tribune avant que ces postes ne soient supprimés purement et simplement (logique comptable : un journaliste produisant 13.000 signes d'enquête tous les 15 jours ce n'est pas rentable même si il scoope ou raconte une histoire inédite).
    - A Capucine je dis Oui Kerouac et Thompson sont d'une autre époque mais leur point commun c'est le scepticisme, le regard critique sur l'époque, "porter la plume dans la plaie". Mission première du journalisme que l'on oublie d'enseigner aujourd'hui dans ces écoles de journalisme qui se transforment en fabrique à techniciens de l'info
    - A Nils je dis Oui bien sûr, on peut avoir moins de 35 ans, aimer Kerouac, Camus et la révolte contre l'ordre établi. C'est même éminemment souhaitable !
    - A Adriano je dis total d'accord avec vous et ce n'est pas parce que je gravite telle une poussière journalistique dans l'immensité de la blogosphère ;-)
    JCF

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  8. Mais non, le journalisme de récit n'est pas du tout moribond ! Il est même florissant... sauf que ce n'est pas dans la presse.

    Aux USA, le gonzo journalisme de Thompson et le new journalism des années 60 et 70 en général, de Tom Wolfe à Truman Capote, ou Norman Mailer, produit aujourd'hui un intéressant "rejeton" avec le new new journalism, dont Jon Krakauer est un emblème qui remporte actuellement un très grand succès: Into The Wild, etc. (mais il n'est pas seul dans cette démarche).

    Le style de ce nouveau new journalism est certes moins baroque que celui des gonzos, mais la dimension littéraire et personnelle est indéniable.

    De plus, en France, le gonzo n'est pas mort. Philippe Garnier en donne une excellente et récente illustration avec sa biographie très personnelle de Grover Lewis, un autre gonzo de la grande époque du magazine américain Rolling Stone ("Freelance", chez Grasset, actuellement en librairie).

    Le récent ouvrage de Florence Aubenas ("Le quai de Ouistreham", Éditions de l'Olivier) n'est certes pas vraiment gonzo, mais tout à fait dans la lignée du new new journalism, du journalisme de récit, dit encore narrative non-fiction. Et c'est un succès de librairie.

    On aura remarqué que tous ces exemples de la vitalité et du succès du journalisme de récit sont publiés sous la forme de livres et non dans la presse. Mais c'est aussi le cas aujourd'hui pour le journalisme d'enquêtes (Pierre Péan par exemple).

    On notera aussi, Philippe Garnier insiste bien sur ce point, que le gonzo journalism américain ne s'est jamais réellement vu ouvrir les portes de la "grande presse" et qu'il a été, en réalité, largement cantonné à des fanzines, quelques revues confidentielles et au magazine Rolling Stone.

    Comme le souligne Adriano, on retrouve aussi plus que des traces de gonzo sur internet aujourd'hui, dans certains blogs et dans des webzines (gonzai.com, bien entendu !).

    Alors non, le journalisme de récit n'est pas moribond. ;-)

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  9. Je dirais même plus... il reste le seul journalisme vivant (et peut-être même la seule littérature vivante).

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  10. Merci pour ta réaction @Narvic toujours un plaisir de t'accueillir ici ;-) Je partage en partie ce que tu dis, le gonzo et le new journalisme ne sont pas tout à fait morts en France...J'ai aussi pensé aux gens que tu cites et à Florence Aubenas dans son exercice d'immersion et de journalisme du réel. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui ça se passe essentiellement sur les blogs. De toute façon ça ne s'est jamais vraiment passé dans les colonnes des journaux en dehors de Libé (jusqu'en 1981), d'Actuel (idem) et de quelques autres fleurons de la contre-culture...

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  11. Oui Oui oui: la vision subjective d'individus éclairés est précisément ce que je cherche dans les journeaux en tant que lectrice, et je dois bien souvent utiliser ma longue-vue pour le trouver. Partout, ou presque, les lignes éditoriales enferment les journalistes en tant qu'individus derrière des remparts qui semblent infranchissables. Quel dommage !

    Pas le temps ni les contacts nécessaires pour courir les blogs, comme le suggère narvic. Oui je le fais un peu, mais vraiment, je paie pour mes journaux : je voudrais pouvoir avoir cela avec eux, plutot qu'un simple remachage et copié-collé des memes lithanies dans l'espoir de ne pas choquer le lecteur moyen. Yuk !

    D'autre part, il est rare d'entendre un journaliste dire que les lecteurs ne sont peut-etre pas aussi cons qu'on le pense. Le merci !

    Oui, dans le "pecking order", je suis (juste) une lectrice, et bien des fois, j'ai le sentiment que les journaux ou mags ne connaissent pas leur lectorat, voire s'en contrefichent. Ils ont souvent une idée passéiste de qui les lit, et des idées plus que condescendantes au sujet des lecteurs jeunes. Frustrant, quand tu sais que ces memes journaux ont besoin du lecteur pour faire vivre leurs journalistes.

    Je pourrais te citer l'exemple de "the Economist", un des hebdos britanniques qui a le moins de lectrices (moins que... Playboy !). Et ce n'est PAS parce que les femmes ne s'intéressent pas à l'économie. Et pour cause, j'y ai été abonnée pendant un an car les sujets couverts par ce mag m'intéressaient particulièrement, d'un point de vue professionnel. Après quelques numéros, je ne pouvais attendre que l'abonnement arrive à échéance. Grrr: l'info couverte par et pour des bourgeois (males) flatulants, probablement parce que les éditeurs s'imaginent quel seuls eux ont besoin de lire The Economist. Cela fait trois ans, et ils continuent de m'envoyer des courriers me suppliant de me réaabonner. Ils n'ont pourtant rien changé à leurs voies délétères... Non mais de qui se moque-t'on?

    Désolée d'avoir phagocyté ton superbe article sur le gonzo journalisme pour faire mon propre plaidoyer pour les lecteurs . J'espère que tu ne m'en voudras pas. Je pense sincèrement que les deux sujets sont liés : ils supposent tous deux une vsion organique de l'info, qui ne peut pas etre traitée comme une marchandise comme une autre, un peu comme la médecine, quoi ;-) .

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  12. Patrick Cappelli22 mars 2010 à 19:16

    salut Jean-Christophe
    Damned : je en te savais pas fan du grand Hunter Thomson ... Bonne surprise. Mais tu ne pas la Grande Chasse au Requin (deux tomes : l'ancien et le nouveau testament gonzo) parus dans la défunte collection Speed 17, dirigée alors (1980 environ) par Philippe Manoeuvre ou alors j'ai mal lu). Une suite d'articles et d'enqêtes tous plus hallucinés les uns que les autres ... Si tu ne les as pas, je te les prête !
    Sinon, totalement d'accord avec tes analyses du journalisme actuel ...
    A plus, Patrick

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  13. Ce que tu ne dis pas, Jean-Claude, et qui frise la mauvaise foi, c'est que le Gonzo journalism, Hunter Thomson, Truman Capote, Rolling Stones, Actuel en France, et bien avant eux Jack London, Albert Londres, et pourquoi pas Zola, Hugo... ont toujours été des exceptions, des exceptions rares - a fortiori quand ils sont apparus, dans les années 60, où ils étaient marginaux par principe mais aussi par ostracisme. L'histoire du journalisme est une histoire de formatage: le journaliste n'est pas censé se mettre en scène, pas censé raconter des histoires, il est censé aligner les faits et, notamment, y sacrifier son écriture. Et ce n'est pas un mal: pour un Hunter Thomson, combien de tâcherons dans ses ornières, qui n'avaient (n'ont) pas son talent et ne faisaient (ne font) ni du journalisme, ni de la littérature? Tu assassines les nouveaux médias, les journalistes Shiva, le data base journalism, alors que de mon point de vue, c'est là que sont aujourd'hui les expériences sinon les plus excitantes, au moins les plus neuves et les plus riches de contenu et de promesses. Ce que cherche le lecteur, tu te souviens: des infos, pas de l'écriture et de la mise en scène... Ce n'est pas pour rien que le lecteur, il lit le Huffington Post, aujourd'hui: les journalistes stars, ça le gonfle. Et, nonobstant des textes parmi les plus formidables jamais écrits (ce qui est déjà pas mal...), je ne suis pas aussi convaincu que toi que Hunter Thomson ait fait tant de bien au journalisme.

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  14. En réponse à Eric :

    "Ce que cherche le lecteur, tu te souviens: des infos, pas de l'écriture et de la mise en scène..." m'écris tu en me faisant la leçon comme à un élève de CM2 dissipé. En résumé, si je te suis bien : le lecteur est un con, c'est un homme pressé, il aime l'info burger et la junk news, ne cherchons surtout pas à le surprendre, à lui donner à une autre vision du monde que celle qu'il attend...on risquerait de le déstabiliser et de le perdre en route.
    C'est avec ce genre de raisonnement bien normatif que la presse coule aujourd'hui sans remise en cause ni panache.
    Oui Hunter Thompson était à la marge. Et alors ? Faut-il pour autant raisonner en termes de "temps de cerveau disponible" et écrire en acceptant le nivellement par le bas, la logique du toujours plus de flux avec moins sur tous les supports ?
    Je pense au contraire que le journalisme est avant un tout un métier de l'offre et que le lecteur mérite mieux que de l'info standardisée. Scoops, récit au long court, enquête, reportage, gonzo, écriture freestyle...et pourquoi pas data journalisme...tout est bon pour le surprendre. Le faire voyager en dehors des sentiers balisés des médias ronronnants.
    Las tout cela demande de l'imagination, de la créativité et nonobstant des moyens financiers et humains...Pas très en vogue en ce moment. Tout le contraire du journalisme de flux qui a l'avantage d'être raccord avec la pauvreté intellectuelle du moment et la logique purement comptable qui gouverne désormais les journaux.
    Nous ne sommes pas d'accord, ce n'est pas la première fois, mais tu me permettras de continuer à penser que les journaux ne sont pas des entreprises comme les autres tout comme l'info n'est pas - ou ne devrait pas - être un pot de yaourt qui sort de l'usine.
    A coté des missions premières du métier, informer dans les règles de l'art des 5 "W",il y a encore place pour l'audace, l'expérimentation et le chaos créatif dans notre métier à condition de le décider et de ne pas renoncer. Les deux logiques ne sont pas incompatibles mais complèmentaires.
    Lis la revue "XXI" fondée par un ancien pilier du Figaro, va faire un tour sur Owni.fr une plateforme d'info participative animée par de brillants jeunes gens, lis le bouquin de Florence Aubenas, formidable expérience d'immersion dans le journalisme du réel...
    Cela dit, je ne te ferai pas la leçon : je participe moi aussi au journalisme de flux dans mes fonctions ;-) Sur le blog, c'est autre chose, mais j'assume mes contradictions.

    Bien à toi Jean-Christophe (pas Jean-Claude)

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  15. Jean-C. (no risk...), on est d'accord sur le fond: le journalisme doit surprendre, fouiner là où on ne l'attend pas (et où on ne le veut pas), déranger, voyager, etc. Mais là, tu parles de forme: Thomson, avant tout, c'est une écriture. Géniale. Et littéraire: pour moi, Thomson est un écrivain. Un journaliste, c'est un type humble par essence et vocation, qui vit caché, qui ne la ramène pas, ni en montrant sa tronche peroxydée à la télé, ni en se prenant pour Stendhal, Céline ou... Thomson, qui est au service de son lecteur, qu'il aide à s'informer, à s'enrichir, à voir le monde. Rien d'autre. Et il se trouve que, de mon point de vue, le journaliste, depuis qu'il est journaliste, est bien plus souvent (plus efficacement) journaliste qu'écrivain flamboyant. Ce que je veux dire quand je te rappelle que nous sommes au service du lecteur, ce n'est pas une leçon, c'est quelque chose que nous avons trop longtemps oublié, notre "job description", et que n'a pas peu contribué à nous rappeler Internet. C'est vrai, XXI est un super journal. Vendu à combien d'exemplaires? Owni est une très intéressante expérience, de journalisme participatif, de paroles d'expert. Qui fait quel trafic? Je te signale que le quotidien qui marche, ces temps-ci, pour ne pas dire le meilleur quotidien, s'appelle Le Parisien-Aujourd'hui. Que les sites d'info qui cartonnent, pour ne pas dire les meilleurs sites d'info, s'appellent le Figaro.fr, le Post, 20mn et... le parisien.fr. Ceux qui écoutent le mieux et le plus leurs lecteurs. Une dernière chose: tu stigmatises le data journalism. D'où vient le dernier méga-scoop de la presse britannique (qu'on est hélas bien incapable de reproduire encore en France)? De l'affaire des notes de frais des MP's, révélée par le Daily Telegraph mais qui a pris une autre ampleur quand elle a été relayée, en base, par le Guardian et ses lecteurs, mis à contribution. Pour moi, cet exemple correspond exactement à TA définition du journalisme. Comme quoi, je ne te fais pas la leçon...

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  16. Dont acte Eric. Nous sommes d'accord sur le fond et sur la conception du métier. Sur ce blog, j'agite des idées, j'essaie de susciter à mon humble niveau un début de réflexion sur l'évolution de notre métier...qui souffre d'une absence totale d'auto-analyse critique depuis des années. Je le fais souvent avec une subjectivité revendiquée, voir une certaine mauvaise foi ;-) J'enlève ici ma casquette de journaliste aux Echos. Le but du jeu est de provoquer ce type d'échanges que je trouve passionnant et constructif ! Sur le data journalism j'avais précisément cité cet exemple de la note de frais des MP's comme un vrai + ...
    Bien cordialement et merci pour ta contribution qui n'est pas une leçon ;-)
    JCF

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  17. JC, une dernière chose: ce débat que tu réclames, à juste titre, et entretiens, il est venu du Web. Et des journalistes Web: qui mieux que Jarvis, Mignon, Raphaël, Parody, Ronez, Klein, Patino... a posé les questions qui fâchent (dont celle du rapport au lecteur) ces, allez, 50 dernières années?

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  18. Ah, LE lecteur... LE fameux lecteur! Mais au fait, on parle de Lulu le cousin-Blackberry ou de papy-librairie? De ma voisine Samantha ou de mon boucher Martin? Du lecteur qui paye le journal ou du cerveau disponible à la pub?
    Ras le bol de me prendre la tête avec LE lecteur, d'écrire pour cette statistique inventée par des publicitaires pour nous faire cracher de la copie. Et vive les gonzo!

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  19. Tu en as raz-le-bol des lecteurs, Tatiana? T'étonnes pas, alors, que les lecteurs en aient raz-le-bol de nous. Tu écris pour qui, au fait? Toi, ton mec, ta mère, ton prof du CFJ?

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  20. avez-vous pensé aux presbytes qui ont besoin de lunettes et qui se crevent les yeux sur leur portable et à la bonne odeur de l'encre fraiche qui laisse des traces sur les draps du lit,
    le " vrai" journal a encore de beaux jours:attendez que les quinqua d'aujourd'hui soient morts

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  21. Mais nan Eric, je n'écris que pour toi ;-)

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  22. Bonjour, je partage votre point de vue sur la "dépersonification" du processus de production de l'info.
    Mais désolé de le dire comme ça, ce débat est futile, caricatural, et sans intérêt. Venir comparer ce qui se fait actuellement à ce qu'écrivait Hunter S. Thompson est illusoire et dépourvue de sens. Les réponses des commentaires le prouvent.
    Autant se demander si Thomson aurait fait le CFJ.
    Pourquoi chercher à opposer journalisme littéraire et subjectivité, au journalisme mécanique et normé, par le truchement des entreprises de presse?
    Si l'on vous suit, il n'y a économiquement aucune raison de croire à émergence d'une presse différente sur internet. L'optimisme que vous semblez afficher à la fin de votre papier ne semble pas reposer sur grand chose.

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