mercredi 16 décembre 2009

Nous ne sommes pas (encore) des robots-journalistes !


"Vous appuyez sur un bouton et la machine génère automatiquement un article sur un match de base-ball. C'est ce que permet le système Stats Monkey"...De l'information automatisée ! Voilà la promesse faite aux journaux par le laboratoire InfoLab de la Faculté de Sciences appliquées de la Northwest University (Illinois), pour survivre à la tempête numérique qui balaye la presse... Décidément on n'arrête plus le progrès ! Après les fameux "forçats du web", ces jeunes journalistes surentrainés qui produisent de la copie en ligne comme des poulets en batterie,  voici donc venu le temps du robot-journalisme... Un logiciel titulaire de la carte de presse pour remplacer tous ces jeunes gens dont la masse salariale pèse encore trop lourd dans le compte d'exploitation des journaux en perdition ? Il fallait y penser. Le "machine-generated news" - comme disent nos amis américains - est un vrai rêve de manager de presse des temps modernes. Vous savez ce gars en costume gris qui sort ton tableur-excel et vous demande le ratio de productivité - nombre d'articles/rédacteur en moyenne annuelle - quand vous lui parlez qualité éditoriale, enquête, investigation, reportages ou déontologie...

On doit donc cette géniale invention à messieurs John Templon et Nick Allen, un chercheur en informatique et un "programmeur-journaliste". Ces deux Doc Folamour du cyber-journalisme ont fait travailler pendant trois ans sur ce projet  8 étudiants en sciences informatiques du McCormick School's Intelligent Information Laboratory associés à 11 apprentis plumitifs multimédias de la Medill School of Journalism (un département de la Northwest University). Le résultat est visible dans cette présentation vidéo-slide show. En gros cette fine équipe nous promet une aide logicielle pour "générer" plus vite des contenus à mettre en ligne sur le site web de son media employeur et tous les nouveaux tuyaux disponibles pour balancer de l'info à la chaîne. Notamment sur Twitter, la nouvelle Mecque du journalisme en temps réel (ils appellent ça le "Tweedia") où l'on tire de l'info plus vite que son ombre. Le parfait kit-boite à outils pour les petits OS speedés qui seront employés demain par les "entreprises à produire de l'information" que sont en train de devenir la plupart des journaux.



Concrètement, un journal télévisé matinal baptisé "News at Seven" est déjà en test à l'InfoLab : les étudiants conçoivent quotidiennement leur JT en se servant de "Stats Monkey" qui passe à la moulinette tous les sites et blogs d'infos sur internet pour déterminer ce qui est important dans l'actu et retenir ce qui vaut la peine d'être porté à la connaissance du public. Le logiciel agrège les news, les classe par thèmes et sait les associer à des images et des sujets filmés. Et il génère donc un texte automatiquement qui répond grosso modo au 5 "W" : Who (qui), What (quoi), When (quand), Where (où), hoW (comment)...mais surement pas au sixième "W" qu'est le Why (Pourquoi) ! Nos apprentis sorciers ont poussé le vice assez loin : la présentation du JT est confiée à un "avatar" numérique s'exprimant d'une voix forcément robotique grâce à un logiciel classique de synthèse vocale... Ce n'est pas une première : on se souvient du fameux projet Ananova au début des années 2000. Mais bien que très sexy (voir ci-dessus), notre Laurence Ferrari virtuelle a fait long feu...

Alors à nos jeunes amis de la Medill School of Journalism  je dis : Attention ! C'est ce qui s'appelle scier la branche sur laquelle vous êtes assis. Vous voulez vous faire piquer votre job de dans cinq ou dix ans par de vulgaires automates ? Libres à vous... Mais oubliez le Prix Pullitzer auquel vous rêviez tout petit déjà. Si "Stats Monkey" ou l'un de ses congénères entre dans une salle de rédaction, il n'y aura bientôt plus de journalistes de terrain, d'enquêteurs et autres reporters, ni même de journalistes tout court. Que des tristes techniciens de l'info scotchés devant leurs écrans, assistés par des machines assez "intelligentes" pour collecter, trier, hiérarchiser, voir mettre en forme l'actualité. Mais pas assez pour sentir la news qui monte, le bon angle à traiter...Et ne parlons même pas de la plume nécessaire pour raconter une belle histoire.

Personnellement, j'aimerais plutôt voir ces étudiants en journalisme de la Northwest University oublier un peu leur délire d'écriture robotisée. Il seraient mieux dehors à interviewer de vrais gens, à couvrir l'évènement, bref à assimiler le B-A-BA du métier. Apprendre à monter un reportage, enquêter sur un scoop potentiel et surtout l'écrire tout seul comme un grand, cela s'apprend. Quel que soit le média de demain ou d'après-demain. Mais à mon humble avis, il est totalement vain d'essayer d'apprendre le métier de journaliste aux machines. Sauf à prendre son lecteur pour un con-sommateur d'infos décérébré prêt à avaler passivement de la "junk-news" comme dans un fast-food de l'info... Heu...ôtez moi d'un doute chers confrères : ce n'est pas comme ça que vous voyez vos lecteurs non ?
J-C.F

5 commentaires:

  1. Finalement, le seul qui soit menacé dans cette histoire, c'est Google. Imaginons que le contenu "robotisé" envahisse le net et que Google nous sorte dix pages de ce contenu avant d'arriver à un article intéressant: nous changerions de crêmerie. Donc, pour survivre, Google va déclasser ces "génies" du journalisme du futur.

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  2. Oui ce n'est pas faux. Mais encore faudrait-il que Google accepte de partager avec la presse les revenus publicitaires réalisés grâce à l'apport de ses contenus. Sinon les journaux vont continuer à se paupériser et l'information sera de plus standardisée qu'elle soit produite par des OS sous-payés ou des logiciels pisse-copie. Mais bon on est d'accord : c'est d'abord à la presse de prendre son avenir en mains et de chercher des modèles viables sur le Net...

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  3. ... ce qui est loin d'être le cas actuellement! Plus on réduit la longueur des articles (tendance généralisée de la presse quotidienne française), plus on se rapproche des produits des agences de presse et de la presse gratuite, et donc moins on apporte une plus-value au lecteur et moins on l'encourage à débourser un euro et quelques.

    Mais le "mal" vient à mon avis d'ailleurs: dans la manière dont la plupart des journalistes rédigent leurs articles (et enseignent dans les écoles que c'est la seule et unique bonne recette): l'info forte en début, "afin de s'assurer que le lecteur aura l'info car le slecteurs ne vont jamais au bout des articles", expliquent-ils. C'est partir perdant, vaincu, faire la promotion du zéro style et des articles rasoires (qui pullulent dans les quotidiens). Surtout, c'est oublier qu'un article est une histoire, qu'un info possède un passé, un contexte, et ne se limite pas à un fait! Si le lecteur ne s'intéressait qu'à cela, il se limiterait aux dépêches AFP (ce que tendent à devenir les articles de presse).

    Cela n'empêche pas les journalistes et les directeurs de journaux de jouer aux vierges effarouchées...

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  4. Nous ne sommes pas (encore) des robots-lecteurs répondrais-je. ;-)

    Les agences de presse sortent de la news aussi fade que des navets.

    Qu'est-ce qui différenciera à l'avenir une news sortie de ces labos comparée à ce qu'on lit déjà de la part des agences de presse ?

    Rien.

    Il n'y a pas d'âme dans ces news, qui sont pourtant relayées telles qu'elles par des journaux et sites internet dits "sérieux".

    Au final, le lecteur lambda a donc déjà une certaine uniformité dans les informations qu'il lit et il déjà de la news sans aspérités.

    Depuis quelques mois, je commence même à observer cette uniformité sur des médias plus chauds que le web : (par ex. qu'est-ce qui différencie - à part l'image - le journal de 08 heures sur la radio XY du journal télévisé de 13h sur la chaine YZ ?).

    Donc si les journalistes continuent à faire de la soupe et si les journaux continuent à dupliquer telles quelles les infos brutes des agences de presse, alors je pense que ces robots trouveront leur place. Et ils auront raison puisqu'ils coutent moins cher qu'un journaliste pour le même résultat...

    C'est triste !

    Comment inverser la tendance ?

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  5. Ce n'est pas la première fois que un astrologue de la science nous pronostique la disparition d'un métier, remplacé par un robot-bidulo-virtuel. J'espère que l'avenir démontrera que celui-ci se trompe...

    Je ne suis pas dans la profession, mais un modeste observateur (et fan) de la "pressosphère". Je pense que le public acceptera (à défaut de la demander) que des robots-machines leur donne de l'info impersonnelle.

    Hors, si on a pû constater une désincarnation de la presse depuis 1990 (et la chute de l'URSS) en demandant aux journalistes d'être plus neutres avec leur plume, et jusqu'à ne même plus signer les articles publiés, je constate que Internet redonne de la personnalité et du caractère à l'information.

    Comme on peut voir sur Twitter, où les journalistes sont la deuxième communauté francophone la plus importante, les journalistes ont profité de cet espace où ils peuvent prolonger leur métier et passion via des blogs ou réseaux sociaux qui leur permettent de signer des articles engagés et signés qui passionnent les internautes ; qui sont souvent leurs lecteurs, ou leurs nouveaux lecteurs...

    Quand les responsables des groupes de presse auront fait ce constat, et compris que c'est la clé pour renouer des liens commerciaux avec les lecteurs (par des abonnements ou ventes en librairie, éditions imprimées ou numériques), leurs projets de robots-journalistes finiront là où on les appréciera ; à la poubelle !

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