Avez-vous déjà entendu parler du "data journalism" ("journalisme de données" en version française) ? Non ? Normal. Le sujet agite beaucoup en ce moment les professionnels de la profession, suscite des contributions savantes dans les conférences sur l'avenir de la presse et sur les blogs dédiés, nourrit d'interminables discussions sur Twitter (je me tweet-clashait encore hier gentiment à ce sujet avec mon excellent confrère Eric Mettout de Lexpress.fr)...mais il reste à mon sens fortement éloigné des préoccupations réelles du lecteur. C'est pourtant la dernière tarte à la crème d'un métier en plein questionnement existentiel.
Mais de quoi parle-ton exactement ?
Le "data journalism"est une nouvelle technique journalistique très en vogue chez nos amis anglo-saxons qui consiste à collecter des masses de données complexes (chiffres, statistiques, rapports annuels...) pour en extraire des informations jugées pertinentes avant de les organiser sous la forme de jolis tableaux, graphiques et autres infographies colorées plus ou moins bien commentés... Nos confrères américains et grands-britons ne jurent plus que par cette dérive scientiste qui est un peu au journalisme ce que la police scientifique est à la maison Poulaga. A savoir un truc très efficace à la télé pour résoudre les affaires classées de "NCIS" ou "Portés disparus", mais beaucoup moins dans la vraie vie quand il s'agit d'empêcher un braquage de fourgons blindés au lance-roquette ou une émeute dans les cités...
Deux grands évènements ont contribué l'an dernier à l'avènement de ce fameux "journalisme de données":
1) La "libération" des données publiques décrétées en janvier 2009 par l'administration Obama avec l'ouverture du site data.gov qui permet à tout citoyen d'accéder à un catalogue de données brutes mis en ligne par le gouvernement américain. Bon courage. Car cette énorme masse de chiffres est bien sûr illisible et incompréhensible pour le profane...A moins justement qu'un bon samaritain formé aux dernières techniques de l'infographie et de la "visualisation éditorialisée" ne se saisisse de ces rébarbatives statistiques pour les traduire en jolis histogrammes et autres camemberts illustrés.
2) Mais le grand fait d'armes du "database journalism" reste évidemment la révélation du scandale des notes de frais des parlementaires britanniques par le "Daily Telegraph" au printemps dernier. Ou comment un journal populaire a en fait obtenu un CD contenant un listing de députés indélicats en versant la coquette somme de 70 000 livres (78 734 euros) à un employé de la Chambre des communes (au passage bonjour la déontologie!). Mais en révélant ces petites et grandes turpitudes - du remboursement de la construction d'un abri de jardin pour canards au défraiement de la location de films X par monsieur mon mari - le "Telegraph" a vu ses ventes bondir de 100.000 exemplaires.
Résultat, une partie de la profession ne jure plus que par la magie du disque dur bourré de données croustillantes. Ou alors l'analyse scientifique de statistiques bien plus austères mais très parlantes. Cela donne par exemple l'été dernier un papier magistral d'Antoine Vayer dans "Libération" : "Contador : du kérosène dans les veines"
Ou comment un non journaliste et vrai spécialiste de l'effort sportif (ex-directeur de Festina) démontre par A + B (durée de l'ascension, poids du coureur, puissance développée etc...) que la victoire du coureur au col du Verbier était humainement impossible...sans prendre un petit remontant. Reconnaissons là une belle victoire du "data journalism". Mais de là à en faire un cas d'école et un manifeste comme le fait Nicolas Vanbremeersch dans un article intitulé "Pour un journalisme de données" publié par Slate en juillet dernier, il y a un grand pas qu'il faut se garder de franchir.
Citations :
"De nombreux médias ont compris qu'un article n'était plus l'alpha et l'omega de l'information, mais qu'une infographie, voire la compilation intelligente de données, mises à disposition sur un site Internet, était un meilleur levier d'information qu'un article, qu'une tribune d'expert. Les meilleurs articles d'information, en ligne, les plus consultés, sont souvent de beaux diagrammes", s'enflamme l'ami Vanbremeersch, un HEC qui ne dirige pas une école de journalisme mais une agence "conseil en communication corporate".
Et de poursuivre : "Les pouvoirs (Amaury Sport Organisation, l'Elysée) ont un intérêt objectif à maîtriser la divulgation de l'information (...). Les contre-pouvoirs (les médias, les opposants) ont intérêt à travailler non à simplement commenter, mais à fournir leurs données. Se contenter du commentaire, c'est jouer le jeu du storytelling des pouvoirs. Entrer dans la donnée, c'est jouer la subversion".
Avant de conclure carrément : "Dans un monde d'hyper commentaires, mais aussi de grande puissance de compilation et calcul, la véritable médiation avec la réalité se fait par la donnée".
Un autre tenant du data-journalism, Fabrice Epelboin qui n'est pas journaliste non plus (il se présente comme "creative geek, startupper, web strategy consultant, editor of Readwriteweb France") en appelle donc dans ce papier à une refonte de la formation initiale des journalistes pour les préparer "à ce tournant du métier".
OK les gars mais il y a un petit Problème. On part du journalisme sportif - celui qui par nature se prête le mieux à l'exégèse statistique avec ses scores et temps chronométrés - pour généraliser à l'ensemble du métier ! Et en creux, on sent bien que certains fanatiques du "journalisme de données" à l'anglo-saxonne voudraient carrément en finir avec le "journalisme de narration" à la française. Bref faire la peau à ce bon vieux Albert Londres...
C'est à ce moment là je mets le holà !
Si le journalisme de données répond dans certains cas au besoin de traiter l'avalanche d'informations qui déferle sur nous par tous les tuyaux et sur tous les écrans de la civilisation numérique, bref à nous rassurer face à "l'infobésité" qui menace (voir ce bel article savant), cette tendance à vouloir objectiviser à outrance la réalité me donne la chair de poule. Car précisément, le journalisme c'est d'abord affaire de chair ! Une belle plume pour décrire le réel avec des morceaux d'humanité dedans vaut bien mieux que tous les tableaux Excel du monde. On dénonce le "story telling" des "spin doctors" qui nous manipulent ? Très bien. Mais le métier de journaliste c'est d'abord raconter les ressorts d'une actualité en répondant le mieux possible aux fameux "5 W" : Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? (voire 6 W avec le Pourquoi ?). Or les chiffres à eux-seuls sont bien incapables de répondre à ce questionnement qui est à la base de tout article normalement constitué.
Que diantre, ce n'est quand même pas avec du "data journalism" qu'Albert Londres a fait fermer le bagne de Cayenne ! Et plus près de nous, notre confrère Tonino Serafini n'a pas eu besoin de statistiques officielles du ministère des affaires sociales pour dire dans "Libération" la misère et la détresse humaine des sans-abris du Bois de Vincennes : il n'a fait que raconter ce qu'il voyait.
L'analyse des chiffres par tous les nouveaux champions du journalisme de bureau ne remplacera jamais les yeux et les oreilles d'un bon journaliste qui prend encore la peine d'aller sur le terrain pour témoigner. Le journalisme d''enquête et d'investigation a sans doute besoin de données chiffrées. Mais de là à transformer tous les porteurs de carte de presse en experts en "data mining"...
La profonde crise - économique mais aussi d'identité - que traverse la presse ouvre un boulevard aux dernières modes technologiques venues d'outre-Atlantique. Et si on les laisse faire, les ingénieurs en référencement prendront bientôt les commandes des journaux. Ils pilotent déjà souvent leurs sites Web. Mais le journalisme de données n'est sûrement pas le meilleur moyen de réconcilier le lecteur avec la presse. Le récit et le reportage restent des genres majeurs du journalisme à la française qui assume sa part d'engagement et de subjectivité. Et quand la plume et l'histoire sont à la hauteur, le lecteur en redemande : en témoigne le beau succès rencontré par la revue "XXI" fondée par Patrick de Saint-Exupéry...tiens tiens un prix Albert Londres. C'est d'ailleurs une toute jeune journaliste de "XXI", Sophie Bouillon, qui a décroché à 25 ans le dernier Prix Albert Londres grâce à un formidable reportage africain ("Bienvenue chez Mugabé").
Bref à tous les zélotes du "data journalism" (qui sont les mêmes que ces partisans du "robot-journalisme" épinglé dans ce récent billet) je dis :
"Nous ne sommes pas des numéros !".
Le journalisme, c'est aussi affaire de littérature y compris sur le Web où la petite logique comptable et justement statistique a malheureusement tendance à privilégier le "flux" de données en lieu et place de l'info racontée par des journalistes formés à l'enquête, au reportage et au récit.
Jean-Christophe Féraud
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La data journalism « éloigné des préoccupations réelles du lecteur » ? Quelques conversations avec de simples « lecteurs de journaux » me laissent justement penser l’inverse. Qu’entend-t-on dans ces discussions ? Que « les journaux disent tous pareil » et « qu’ils ne disent pas la vérité », et que « du coup je n’achète plus le journal ». Et quand je demande à ces mêmes lecteurs s’ils seraient partant pour un journal qui leur proposeraient d’accéder aux données qui font l’actualité, rendues compréhensibles en un coup d’œil, leur réponse est « Oui, ça m’intéresse ».
RépondreSupprimerA mes yeux, les préoccupations des lecteurs sont :
-un rejet de la médiation journalistique traditionnelle et donc un accès plus direct aux données
-le désir d’un rôle plus actif dans la compréhension de l’information
Le data journalism ce n’est pas juste des « infographies colorées plus ou moins bien commentées ». Ca c’est ce que fait déjà la presse traditionnelle avec des infographies mal pensées et mal mises en valeur, destinées à illustrer ses articles.
Le data journalim c’est avant tout des contenus INTERACTIFS, qui donne à l’information une dimension ludique, qui place les visiteurs dans un rôle actif et non pas de récepteur passif.
Le data journalism c’est aussi la profondeur des contenus, des bases de données, régulièrement mises à jour, et donc des visualisations qui ne se périment pas, à la différence des articles. Une visualisation remplace une série d’articles.
Le data journalism donne également accès aux tendances de fond, aux changements sur le long terme. Elles racontent des histoires également, mais d’une autre façon, en montrant comment des variables évoluent dans le temps ou l’espace.
« certains zélotes du journalisme de données à l’anglo-saxonne voudraient carrément en finir avec le journalisme de narration à la française ». Alors là, je sais que cette opposition journalisme à la française / journalisme à l’anglo-saxonne est très structurante pour les « encartés » de la génération d’avant Internet, mais elle ne fait pas vraiment sens pour moi. Et puis Jacques Bertin, père de la sémiologie graphique pourrait bien être considéré comme le père du journalisme de données (http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Bertin_%28cartographe%29), ce n’est donc pas une question de génération, ni de nationalité.
En tant que zélote du journalisme de données, je n’entends pas du tout supprimer la narration des journaux ni d’Internet, j’essaie juste de montrer qu’il y a une demande pour un autre type de traitement de l’information, qui ne remplace pas la narration, mais qui le compète. Le data journalism s’adresse à l’intelligence visuelle des gens et non à leur intelligence verbale. Le journalisme de données ne remplace pas la narration. Il y aura toujours une place pour les belles plumes.
Et, toujours en tant que zélote du journalisme de données, j’aimerais qu’on arrête de croire que les data journalist ne sont que d’imbéciles objectivistes, incapables de comprendre que les données sont construites, que la réalité ne se donne à voir que par la médiation ou l’interprétation. Ce qui est intéressant dans le journalisme de données ce n’est pas les bases de données brutes, le matériau de travail, c’est la visualisation. Toute visualisation est une éditorialisation, elle conduit à montrer une chose plutôt qu’une autre, elle nécessite aussi de choisir un angle, elle « assume sa subjectivité », comme vous dite. C’est le même travail journalistique que pour écrire un article.
Des « journalistes de bureau » les data journalistes ? Même quand ils travaillent au niveau micro-local ? Même quand ils décrochent leur téléphone ou leurs clés de voiture pour aller récolter les informations sur le terrain, pour ensuite construire leurs bases de données ?
En tout cas votre article est un très bon cas d’étude pour quiconque s’intéresse à la sociologie du journalisme français : sacralisation du terrain, sanctification de la « belle-plume » et de la littérature, revendication du subjectivisme, référence au sacro-saint Albert Londres, dénonciations de la prise de pouvoir des référenceurs et autres ingénieurs dans les rédactions, refus de légitimité à quiconque n’a pas été formé au journalisme traditionnel, rejet des « dernières modes technologiques » (alors si en plus elles sont « venues d’outres Atlantique, c’est pire).
RépondreSupprimerOui, c’est vrai, le journalisme de données ne s’inscrit pas dans cet héritage un peu désuet, et dans cette mentalité finalement très corporatiste. Et alors ?
Reste votre cri du cœur final : "Nous ne sommes pas des numéros !". Bon, on a compris, les data journalistes sont vraiment de grands méchants qui veulent éteindre la poésie de votre petite cœur de vrai journaliste, qui s’en prennent à votre individualité profonde en voulant vous faire mettre le nez dans les chiffres… Un peu facile non ?
Chere Caroline
RépondreSupprimerMerci pour cette réaction franche et carrément musclée ! Le but de ce billet était justement d'ouvrir le débat sur ce fameux "data journalism", présenté ici ou là comme LA réponse au grand questionnement existentiel d'une presse qui aurait totalement perdu le contact avec le lecteur.
J'ai apparemment touché une corde sensible et une passion professionnelle naissante chez vous puisque vous vous présentez comme une "Etudiante en Management des médias & promotrice du journalisme de données" sur votre page perso
http://www.viadeo.com/fr/profile/caroline.goulard
J'ai sans doute un peu forcé le trait pour appuyer ma démonstration (subjectivité quand tu nous tiens) et je m'en excuse. Surtout si vous vous êtes sentie particulièrement visée par le "zélote du data journalism".
Mais à mon tour de défendre un peu ma vision des choses basée sur 20 ans d'expérience professionnel. Non je ne suis pas un "journaliste traditionnel", nostalgique, "désuet" et "corporatiste"... Je dirige le service high-tech d'un quotidien économique, j'anime mon blog et aussi un fil Twitter. Depuis deux ans, j'écris indifféremment pour le papier et le web... Avouez que l'on fait pire comme vieux crouton "old school" rétif aux évolutions du métier !
Non je ne suis pas hostile au progrès technologiques et à l'intégration de contenus interactifs dans nos papiers. Loin s'en faut ! Mais j'ai parfois peur qu'à force de courir après le dernier gadget à la mode, on en oublie l'essence du métier : les 5 W, la narration... Ne prenons pas le lecteur pour plus bête qu'il n'est : s'il est allé à l'école, il est parfaitement capable de lire une histoire si elle est bien racontée. Avec des jolis graphiques animés c'est sûr c'est encore mieux. Mais sans histoire justement pas d'illustration qui tienne ! C'est le B à BA du métier.
Confraternellement
JCF
Je voulais dire "basée sur 20 ans d'expérience professionnelle"...trop pressé de vous répondre.
RépondreSupprimerEt PS : oui Albert Londres est notre Saint-Patron, avec quelques autres (j'aime aussi le gonzo journalisme de Hunter S. Thompson).De grâce relisez-les...
Et j'oubliais : Vive la Poésie! On en a bien besoin. L'actualité en est riche à condition d'ouvrir les yeux et ne pas être obnubilé par les chiffres...
RépondreSupprimerJe crois qu'il y a un grand absent dans ce billet : la culture scientifique / la mise en perspective / la compréhensions "sensuelle " des rapports de proportion.
RépondreSupprimerCommençons par un classique pour faire chic et évacuer un problème : "les faits sont têtus, il est plus facile de s'arranger avec les statistiques". Merci Mark. Partons du principe que les chiffres sont fiables et non truqués, sinon ça ne vaut pas la peine de faire l'effort de représentation. J'y adjoins une autre condition, à savoir choisir un angle de présentation des données qui ne biaise pas l'information perçue. Annoncer que 99% des héroïnomanes ont déjà fumé du cannabis semble indiquer un enchainement naturel de l'un à l'autre alors que si je dis que 2% des fumeurs de cannabis ont touché à l'héroïne cela ne sous-entend pas la même chose. Il faut aussi que l'information soit complète .Si nous faisons tous deux la course et que tu arrives en premier, je peux très bien rapporter à une troisième personne que nous avons fait la course, que je suis arrivé deuxième et que tu n'es arrivé... qu'avant-dernier. C'est rigoureusement exact, mais trompeur. De même, annoncer une hausse de 400% est formidable, mais d'où partait-on ? de 1 ? La belle affaire.
La présentation de chiffres réclame une culture de la statistiques et des maths qui est très mauvaise en général. Non, les pourcentages ne s'additionnent pas. Une hausse de 10% suivie d'une baisse de 5% ne fait pas une hausse globale de 5%.
Non, on ne met pas en vis-à-vis des données en sous-entendant une corrélation et en tirant des conclusions hâtives sans s'interroger sur l'univers de population étudié ni le contexte. Les ventes de lunettes de soleil et de sorbet semblent être correllés, pourtant on ne peut pas dire que le sorbet fasse mal aux yeux ni que les lunettes de soleil donnent soif.
Donner une idée des proportions et améliorer la culture biologique, scientifique, sociologique, économique... est indispensable, "bon sens" doit être nourri par la pédagogie. Se rappeler de l'affaire Mellick et de son agenda qui le situait à deux endroits très distants en peu de temps : il aurait dû rouler à une vitesse folle pour que ce soit vrai. La donnée doit mettre en regard les invraissemblance mais aussi favoriser la représentation mentale. L'Etat lance un grand plan de X pour financer ceci. OK, mais combien cela représente-t-il dans le budget global, par rapport à nos voisins, par rapport à une autre mesure similaire ?
La donnée doit aider à une meilleure appréhension, une meilleure compréhension, sans brouiller (voir Data war sur la réforme de santé aux Etats-Unis). Cela ne signifie pas que la représentation matérialisée doive se passer des explications complémentaires.
Dire que les chiffres c'est comme la terre, ils ne mentent pas, c'est omettre que les mathématiques et mes statistiques ne sont exprimés... que dans une langue. Hautement manipulable, elle.
Brillante démonstration à laquelle je souscris malgré ma culture scientifique crasse ;-)
RépondreSupprimerJ'ai rarement autant goûté un clash et il faut reconnaître que le vôtre est passionnant. Ce qui m'embête un peu c'est que je suis d'accord avec vous deux!!! Hum, un peu facile me direz-vous...
RépondreSupprimerMais oui, comme JCF je m'éclate à la lecture de longs reportages bien écrits comme le fait XXI sur le modèle du New Yorker (et je ne crois pas Caroline que les "gens" qui critiquent lémédias rejettent cette forme de journalisme d'ailleurs).
Mais oui! Je pense aussi que le datajournalism est un formidable terrain à explorer pour notre métier et que nous ne sommes qu'au tout début d'une phase de renouveau de notre métier. C'est une évidence, ces données brutes sont une nouvelle matière première qui va révolutionner les métiers de l'info parce que ceux qui sauront exploiter les bases seront trop peu nombreux, trop pointus, et qu'il faudra d'autres intermédiaires pour les rendre accessibles, les rendre lisibles.
"Intermédiaire", est-ce un gros mot? Ecoutez plutrôt Valérie Peugeot (spécialiste de l'anticipation à Sofrecom), spécialiste des données ouvertes, s'exprimer à ce sujet en interview sur mon blog (questions 3 et 4) www.lavoixdudodo.info
Caroline, la database journalist est lui aussi un intermédiaire qu'il le veuille ou non, tout comme le blogueur qui défend la thèse qu'il faut se passer de médiateurs.
J'espère que l'avenir vous réconciliera. D'ailleurs qui empèchera aux vieux journalistes qui aiment la chair, comme JCF et moi-même, d'exploiter eux aussi ces données à leur façon (en deuxième main), de les croiser avec d'autres pour en tirer de belles histoires, de beaux reportages?
Je ne peux que me réjouir de la référence au gonzo journalism dans un commentaire précédent (et je pense au "new journalism" américain en général). :o) Une "culture du journalisme" qui me semble souvent bien méconnue des jeunes générations de journalistes français, peut-être un peu trop formatés par leur formation, et manquant peut-être aussi d'un soupçon de culture générale...
RépondreSupprimerLa tradition littérraire est d'ailleurs plus ancienne encore dans la culture du journalisme français qu'outre Atlantique (Balzac, Zola, etc.), mais elle semble un peu effacée aujourd'hui, alors qu'elle connait aux USA une nouvelle vigueur, à travers, par exemple, Jon Krakauer (Into The Wild) et le mouvement du "new new journalism".
C'est un peu pour le journalisme "littéraire", ou "de naration", comme pour le journalisme d'investigation : en réalité, ils ont quitté la sphère de la presse pour se réfugier dans l'édition (c'est à dire en marge de la profession, puisque ne donnant pas accès à la carte de presse. cf. le "cas" Pierre Péan, par exemple).
La mythologie d'importation américaine du journalisme objectif, du journaliste technicien de l'information (reposant sur le fameux triptyque mythologique "compétence, indépendance, objectivité"), semble bien implanté dans l'imaginaire de nos jeunes journalistes professionnels.
Ils y voient probablement le moyen de fonder la légitimité professionnelle sur une base apparemment plus solide, que l'art d'un métier subjectif (voire engagé) aux contours plus que flous. J'ai bien peur, pourtant, qu'ils se trompent, et même gravement.
Un journalisme réellement objectif et technicien est peut-être possible en théorie, mais ça veut dire un doctorat en journalisme pour tout le monde, des moyens et des procédures d'investigation considérables, qui demandent autant de temps que d'argent, pour se rapprocher des procédures scientifiques, qui, seules, peuvent prétendre réellement à l'objectivité.
Il y a dans le data-journalism, à mon avis, une sorte de mythologie du chiffre, qui laisse croire que l'on pourrait fonder un journalisme objectif et technicien à moindre frais. C'est à dire sans un doctorat en traitement statistiques des données pour tout le monde !
Le piège de ce journalisme-là, c'est surtout que sa vocation est de réduire la diversité des approches, d'extirper la subjectivité du discours, jusqu'à ce que... tout les journalistes disent finalement exactement la même chose (il n'existe qu'une seule objectivité à se partager pour tout le monde et tout le monde doit tendre vers elle !).
D'une part, il ne sera jamais possible de fonder une vraie légitimité dans l'opinion pour un tel journalisme, qui se renforce dans la position du magistère et du surplomb, alors qu'il n'a ni les moyens techniques, ni les moyens financiers d'une telle ambition.
D'autre part, les lecteurs - qui ne sont pas dupes - semblent justement privilégier un journalisme qui ne dissimule pas son inévitable subjectivité et assume son point de vue. C'est là qu'il me semble possible de retisser des liens de confiance, non pas basés sur une illusoire objectivité, mais sur une authentique sincérité et honnêteté.
Enfin, comment ne pas signaler que ce journalisme objectif, dans lequel s'inscrit le data-journalism, est une démarche fondamentalement corporatiste, qui affirme que le journaliste est dans une position pour s'exprimer dans l'espace public à laquelle ils sont les seuls à avoir accès. ;-)
En tant que journaliste, je milite pour un mélange des genres. Le data mining peut parfaitement être le point de départ d'une enquête de terrain. Un moyen de s'auto-saisir d'une affaire, en quelque sorte. Tiens, il y a des incohérence entre ces chiffres et ce qu'on me raconte. Allons voir pourquoi.
RépondreSupprimerA contrario, ça peut aussi être le moyen de démontrer par A+B qu'une assertion est fausse. Reste ensuite à chercher pourquoi une telle assertion. Bonne ou mauvaise foi, intention ou non de nuire, etc.
L'accès à ces données est un moyen (de plus), pas une fin.
Mince, JCF a réveillé Narvic avec ses références désuètes à Albert Londres !
RépondreSupprimerBien entendu, la corporation journalistique est une nouvelle fois en train d'essayer de vous faire la peau à tous avec cette nouvelle lubie de datajournalisme.
Mais qui a parlé d'objectivité? Croit-on vraiment qu'avec des données on s'en rapprocherait? Rien qu'en les compilant et en les mettant en forme, en les croisant toute objectivité aura disparu corps et bien, pfiou! Car l'objectivité n'existe pas.
Tout à fait d'accord sur ce point avec Narvic: la meilleure qualité du journaliste n'est pas l'objectivité mais l'honnêteté.
Je ne vois pas en quoi cela empêcherait les autres de travailler et d'être légitimes pour le faire?
Oui, encore le beau journalisme, en opposition au journalisme de bureau... Or dans les deux cas, selon moi, il y a bel et bien pratique journalistique. Le medium est différent.
RépondreSupprimerSi Albert Londres a excellé à son époque (et au delà), c'est qu'il a lui même révolutionné le genre et permis au journalisme de prendre une nouvelle dimension. Et les documentaires de 52", l'arrivée massive de l'image dans l'information, n'ont jamais remis en question la puissance d'évocation de l'écrit.
Avec le web, et la lecture sur écran, le champ d'exploration de l'écrit (comme de l'image) s'élargit. Tout ces champs, doivent cohabiter et trouver leur place, et non s'opposer.
JC, quelques réponses à ton post:
RépondreSupprimer- La préoccupation des lecteurs pour le beau journalisme littéraire, je n'en vois plus beaucoup d'exemples... XXI est un bel objet élitiste, à mon sens plus tendance que durable (en réaction intellectuelle au data-journalisme, notamment) et de toutes façons tellement isolé qu'il ne veut plus rien dire. De bons articles bien écrits comme il y en a dans XXI, on en trouve aussi dans l'Obs, dans L'Express, dans Le Monde... ça n'a pas résolu la crise dans laquelle ces journaux se débattent.
- Quoi qu'il en soit, il y a autant de journalismes qu'il y a de journalistes (j'exagère, c'est pour la démonstration). Bref, que XXI fasse du XXI ne doit pas empêcher (et réciproquement bien sûr) le Guardian (et non le daily Telegraph, qui a sorti l'affaire mais ne l'a pas transformée en modèle de journalisme DBDD) de mettre ses infos en base, de demander à ses internautes d'y dénicher les pépites, de mettre régulièrement cette base à jour et d'inciter ces mêmes internautes à y chercher eux-mêmes ce qu'ils ont envie d'y trouver. L'exemple de la base de donnée à destination informative, c'est celle du Post (je crois) sur l'assiduité des députés: elle est mise à jour en permanence et chaque citoyen s'y informe sur le député qui l'intéresse. Evidemment, ça fonctionnera moins bien pour rendre compte d'une expédition en Amazonie (mais une BDD sur les différentes espèces de piranhas pourra très efficacement venir compléter ton enquête).
- Je suis assez d'accord avec Caroline quand elle parle de résistance d'arrière garde: les journalistes n'ont pas changé, ce sont leurs lecteurs qui sont différents et qui consomment l'info différemment. Le nier, c'est les perdre à coup sûr.
- Je suis assez fatigué aussi des appels à Albert Londre, dont j'ai eu mon content ici. C'était il y a plus d'un siècle et le journalisme littéraire dont il est le symbole n'a pas attendu Internet pour passer le relais.
Merci pour ta réponse Eric, d'accord pour dire qu'il n'y a pas que "XXI" : les mag comme "L'Express" ou "L'Obs" mais aussi les quotidiens (dans leurs pages enquêtes) publient encore de belles histoires... Mais moins d'accord évidemment avec le reste de ton argumentaire opposant "modernes" et "archéos" (dont je ferais partie avec Narvic merci au passage pour sa brillante contribution ;-). Comme le dit Tatiana de la Voix du Dodo, il faut de tout pour faire du bon journalisme : des jeunes et des vieux, de la technicité et de l'expérience, de l'objectivisme (l'objetcivité n'existe pas) et de la subjectivité honnête... Mais surtout de la fougue, de la passion, de la poésie pour raconter le réel avec des mots et un peu je te l'accorde avec des chiffres. Mais de grâce, ne me fais pas le coup de la résistance du combat d'arrière garde. Moi j'ai toujours préféré l'avant-garde. Et puis aussi marre d'entendre dire "le lecteur a changé, le lecteur veut...". Il faut l'écouter, observer l'évolution de son comportement (internet est un media formidable pour cela). Mais notre métier reste aussi et avant tout un métier de l'offre qui ne se gouverne pas avec des sondages et du taux de clic. Des datas justement !
RépondreSupprimerQuant à ce bon vieux Albert Londres, c'est une figure tutélaire mais je n'en fais pas une divinité. Il y a encore un tas de confrères qui font un travail formidable d'enquête, de reportage et de récit en l'an 2010 pour que vive le journalisme...avec ou sans tableurs ;-)
Dans ce post et ses commentaires, le mot "journalisme" apparait 59 fois, "journaliste" 24 fois et "démocratie" pas une seule ! Ca sert aussi à ça le data journalisme pour qualifier un débat. Il me semblait pourtant qu'il existe un lien étroit entre ses trois mots surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir du journalisme dans un pays où son image est, comment dire... écornée !
RépondreSupprimer- Nostalgie d'Albert Londre ? Le dernier Krakauer est paru en septembre 2009.
RépondreSupprimerEt le "new new journalism" américain se porte plutôt bien (newnewjournalism.com).
- Du journalisme de narration ou d'investigation dans les hebdos et quotidiens français : où ça ? Il n'y en a presque plus. C'est surtout des "bonnes feuilles" d'enquêtes qui sont publiées dans des livres. Des livres d'enquête, de récit ou de recueil de témoignage, il s'en vend plutôt beaucoup d'ailleurs, et certainement pas uniquement à un public élitiste.
- sur les données, il me semble lire par ci par là quelques confusions. S'il ne s'agit que de faire des infographies et des graphiques en camembert, ce n'est ni très nouveau ni de bien grande portée.
En revanche, brasser les données statistiques par million de bits pour établir, par exemple, si les travailleurs étrangers coûtent ou bien rapportent à la Sécurité sociale, ou bien brasser des données pour mesurer l'ampleur de l'évasion fiscale des grandes sociétés via les paradis fiscaux, ou bien croiser des données électorale et socio-économiques pour qualifier les motivations du vote pour le Front national, tout ça oui, c'est extrêmement riche d'informations.
Mais c'est long et coûteux, et ça demande surtout une compétence scientifique très sérieuse. C'est un travail que font déjà des chercheurs en sociologie ou en économie. Que peuvent apporter les journalistes comme plus-value qui leur serait particulière dans ce domaine ?
JC: le problème, c'est que tu opposes (ou semble opposer) un journalisme à l'autre - de la même manière que trop souvent on me répond, quand je raconte que les réseaux sociaux sont avant tout des réseaux, comme les journalistes en ont toujours utilisés, que non, non, non, c'est pas possible, je vais pas abandonner mon carnet d'adresse: l'un n'exclut pas l'autre, ils se renforcent. Le journalisme de base ne va pas tuer le journalisme de narration, c'est une autre forme de journalisme, différente, plus à l'écoute des BESOINS et des DEMANDES des lecteurs (et pas des taux d'audience, je reviens sur cette distinction plus bas), plus humble aussi et qui utilise au mieux des outils nouveaux, dont il vaut mieux se faire des alliés que de faire comme s'ils n'existaient pas.
RépondreSupprimerUne remarque, donc, sur cette réponse qu'on m'a faite cent fois: se mettre à l'écoute des lecteurs, ce n'est par rechercher l'audience à tout prix, c'est se souvenir (ce qui veut dire qu'on l'a abondamment oublié) qu'on écrit pour des lecteurs - et se souvenir accessoirement, qu'avec nos prix Albert Londres en bandoulière, nous avons laissé notre image partir en sucette, en oubliant par exemple que nous écrivions pour être lus. Donc, choisir des sujets et des modes de traitement qui en tiennent compte. Je ne vois aucun argument qui puisse s'opposer à ça.
Narvic: oui, les sociologues et les chercheurs passent leur temps à faire des tableaux. Comme ils passent leur temps à pondre des thèses que personne ne lit - sauf les journalistes, dont une partie du travail est de faire les média... teurs entre ces chercheurs et le public, de rendre leurs travaux intelligibles. Le raisonnement vaut évidemment aussi pour les bases de données.
Comme partout, tout est question de mesure.
RépondreSupprimerEt, rejoignant Enikao, je suis moi aussi parfois atterré de constater que les journalistes économiques sont presque les seuls à savoir manier correctement les chiffres, au point que parfois des journalistes "généralistes" sérieux et expérimentés confondent millions et milliards, ou sont incapables de faire la simple comparaison ou règle de trois qui démonterait imparablement un argumentaire politique simpliste fondé sur une statistique biaisée...
L'article de JCF est largement provocateur et il en convient largement (faire toujours appel à l'idole Albert Londres me fait grimacer). Je le suis pourtant sur l’idée que le journaliste doit raconter une histoire pour que la lecture ne soit pas rébarbative pour le lecteur. Les choix de la presse nationale quotidienne vont pourtant dans le sens inverse : réduction de la longueur des articles (qui ont de plus en plus de mal à apporter plus d’informations que les agences de presse et donc les quotidiens gratuits, ou n’ont plus de place pour aucun apport stylistique), eux-mêmes désormais tous construits de la même manière (information principale en début d’article puisqu’il est expliqué aux journalistes que leur écrit ne sera pas lu jusqu’au bout par le lecteur, enquête et statistiques à l’appuis). Il ne me semble dès lors guère étonnant que de moins en moins de personnes prenne de plaisir ou d’intérêt à lire et donc à acheter la presse quotidienne nationale.
RépondreSupprimerEn revanche, j’ai du mal à souscrire à la réponse de Carline Goulard, en raison de l’idée qu’elle expose de son métier :
« A mes yeux, les préoccupations des lecteurs sont : -un rejet de la médiation journalistique traditionnelle et donc un accès plus direct aux données ; -le désir d’un rôle plus actif dans la compréhension de l’information.
Ce qui est intéressant dans le journalisme de données ce n’est pas les bases de données brutes, le matériau de travail, c’est la visualisation. Toute visualisation est une éditorialisation, elle conduit à montrer une chose plutôt qu’une autre, elle nécessite aussi de choisir un angle, elle « assume sa subjectivité », comme vous dite. C’est le même travail journalistique que pour écrire un article. »
Caroline explique ainsi l’inverse et son contraire : présenter des chiffres bruts au lecteur, tout en les choisissant ou en les présentant de manière subjective. Cette idée me semble encore plus perverse puisqu’elle trompera le dit lecteur en jouant sur l’idée (malheureusement fausse) que les chiffres ne mentent jamais (Enikao l’a assez détaillé plus haut). Au final, cela risque de décrédibiliser encore plus les médias (qui n’en ont pas vraiment besoin).
Mais la phrase qui m’a le plus surpris est sans doute celle-là : « Une visualisation remplace une série d’articles. »
Non, jamais une visualisation ne remplacera vraiment une série d’articles (même si cela est malheureusement parfois le cas dans certains médias), puisque sans analyse, sans perspective et placement dans leur contexte, les chiffres ne signifient rien (si ce n’est, là encore, que la théorie subjective avancée par celui qui les apporte). Je vis à Londres, où les infographies des quotidiens britanniques sont pourtant bien plus performantes et complètes que celles des quotidiens français, sans néanmoins paraître beaucoup plus percutantes (elles ne sont pas accompagnées de longs textes pour rien).
Pourtant, l’analyse des données est aujourd’hui indispensable. Nous sommes tous les jours confrontés à des milliers de nouvelles données envoyées par les entreprises, associations, gouvernements. Chacun veut faire dire ce qu’il veut à des enquêtes, présenter ces chiffres selon ce qui l’arrange. C’est justement là que le bât blesse : les journalistes « classiques » ne sont au aujourd’hui pas capables d’analyser ces données, que ce soit par marque de connaissance ou de temps. Cela nécessiterait donc des formations (pour les rares désirant se coltiner avec les statistiques ou les mathématiques) ou/et plus de moyens. Les médias ne prennent là encore pas vraiment cette direction.
Voilà provoquer pour susciter le débat sur un métier qui ne prend plus le temps de réfléchir sur lui-même...c'était tout l'objet de mon pamphlet. A Eric Mettout je dis n'opposons pas bien sûr deux journalismes de flux et de récit...mais comme le souligne Tristan le premier a largement pris le pas sur le second sur fond de logiquement purement comptable...La presse meurt aussi à petit feu de son manque d'exigence éditoriale et stylistique, faute de moyens, de rédactions suffisamment étoffées et de journalistes bien formés et bien encadrés. Et encore, une fois ne prenons pas nos lecteurs pour des Neuneu : ils savent très bien faire la différence entre une enquête, un reportage, un vrai récit...et un simple bâtonage de dépêche AFP agrémenté d'un joli graphique très "parlant"... Quant à Albert Londres, laissons le reposer en paix. Vive le new new journalism comme le proclame Narvic !
RépondreSupprimerJ'ai bien peur que tu fasses fausse route.
RépondreSupprimer1/ Les données ne mentent pas, pour qui sait les lire. Tandis que le journalisme d'investigation on sait ce que c'est, c'est juste des jeux de pouvoirs où le journaliste se croit malin de "sortir" un scoop que veut bien lui donner X pour embêter Y. Les scoops téléphonés du Fig et du Monde, c'est ça le journalisme d'investigation ?
2/ Le journalisme de la "belle phrase" n'a jamais fait manger ses auteurs qui ont toujours eu d'autres activités pour manger. Mais les journalistes d'aujourd'hui n'ont pas d'autres activités et il n'y a donc pas de modèle pour la belle phrase
3/ Acheter des données volées pour faire du data journalism on est d'accord que c'est beurk. Mais se procurer des données pour en faire sortir la substanfique moelle, par exemple http://bit.ly/3RpDLD c'est souvent plus intéressante que tendre (de manière visible ou non) le micro...
(PS: rassure moi, tu n'imagines pas faire de la belle phrase en journalisme éco ?)
Tiens un revenant ! Toujours aussi grinçant mon cher Alain ;-) Le journalisme de story et d'investigation ce n'est pas forcément "sortir un scoop que veut bien lui donner X pour embêter Y"... Et si si parfois on arrive à faire de "belles phrases" dans la presse éco comme ailleurs : portraits, analyses, enquêtes, reportage (j'ai fait "l'enquêteur" cinq ans à La Tribune avant de revenir aux Echos). Sinon contrairement à ce que tu sembles penser, je ne suis pas contre les données et l'exploitation journalistique que l'on peut en faire avec une bonne formation. En revanche, je suis contre la dérive scientiste et pseudo objective qui pour le coup cache une logique purement normative et gestionnaire : moins de journalistes casse-couilles qui ont une mémoire et vont soulever les tapis, plus d'experts en data mining et jolis graphiques animés qui ne déscotchent plus de leur PC... Je ne suis pas sûr que le métier et le lecteur y gagnent vraiment
RépondreSupprimerBonjour Alain,
RépondreSupprimerl'article que tu viens de mettre en ligne en tant qu'exemple "des données pour en faire sortir la substanfique moelle" est pour moi tout à fait caractéristique du débat de ce post. Le dossier est agréable à lire, on y voit la liste des villes endettées, leur taux d'endettement par habitant, parfois ce que cela représente en % du budget de fonctionnement. très bien.
Mais, ensuite, que peut faire le lecteur de telles informations? Franchement, rien, à part gueuler s'il vit dans l'une d'elles.
C'est là selon moi que doit intervenir le journalisme: aller au-delà de ces données si affriolantes au premier abord, utiliser ces données et aller enquêter pour savoir pourquoi et comment cet endettement est arrivé et si cet endettement est réversible ou pas? Là le lecteur y trouvera un intérêt. Je me fais ainsi, peut-être de façon erronée, beaucoup moins de souci pour une ville comme Avignon ou Cannes que pour Clichy ou St Ouen, alors que le classement laisse à penser le contraire... Donc oui, les chiffres ne mentent pas mais leur utilisation partielle et sans analyse peuvent en revanche porter à confusion. Et "un journalisme" qui se cantonnera à ces datas ne mènera pas plus loin que celui qui ne les utilisera pas.
J'allais le dire...merci Tristan !
RépondreSupprimerVotre article est fort intéressant, mais auriez-vous l'obligeance d'utiliser des guillemets français, au moins pour le titre ?
RépondreSupprimerUn bon exemple de mise en perspectives de données par une animation :
RépondreSupprimerhttp://www.sacra-moneta.com/Crise-financiere/Qui-detient-la-dette-americaine.html
On comprend immédiatement que Chine et USA se tiennent mutuellement par la barbichette, et donc que les discours sur les droits de l'homme de Barack Obama glissent sur les dirigeants chinois comme un pet sur une toile cirée :-)
Bonjour,
RépondreSupprimerSelon mon point de vue, je ne penses pas que cela soit un tord de laisser rentrer dans les rédactions des ingénieur, mineur de données et autre experts de du référencement. Loin de moi toutefois la pensée de vous faire remplacer mais plutôt de vous faire collaborer.
Personnellement et comme dit plus haut j'apprécie les articles honnêtes et bien chair, mais paradoxalement la chair me laisse souvent sur ma faim, ou avec l'impression d'avoir fini l'assiette alors que je n'ai fait que picorer. Le journalisme de récit aussi poussé et honnête qu'il soit n'est à mon avis, au mieux qu'un micro échantillonnage représentatif, une vision juste mais fugitive du sujet. L'analyse de données pourrait vous apporter un cadre sur lequel accrocher la chair le récit y gagnerait en tenue. D'autre j'apprécierais la publication des sources et de la méthodologie employée, elles renforcerait la thèse soutenue.
Sinon à la lecture de votre article j'ai fait le parallèle avec l'écriture d'article scientifique.Il n'est pas rare de trouver un article mêlant théorie, simulation et expérimentation, chaque approche enrichie étaye et solidifie la thèse défendue. D'autre part il n'existe pas d'article scientifique sans une partie discussion, c'est d'ailleurs une des finalité de l'article lui-même. Enfin il très rare de trouver un article n'ayant qu'un seul auteur.
Bonne soirée
Billet très intéressant mais je rejoins je ne sais plus qui (trop de commentaires, la flemme de tous les relire) pour dire qu'il est étrange d'opposer un journalisme à un autre...
RépondreSupprimerTout dépend du sujet, du thème, de la place, du lectorat.
De fait, il y a quatre journalismes qui doivent co-exister (du moins sur internet où c'est facile de les faire cohabiter):
- Le journalisme de flux : c'était dès le début la puissance d'internet > donner à tout instant au lecteur les dernières nouvelles du monde.
- Le journalisme d'analyse : donner du recul, prendre de la hauteur, donner le "background" d'un événement...
- Le journalisme de réseau : En 10 ans, le journalisme a aussi changé sur un point important avec l concept de "journalistes-citoyens", c'est-à-dire la capacité des internautes "lambda" de devenir eux-mêmes producteurs d'information. Personnellement je n'y crois pas trop mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut plus rester dans une vision "du haut vers le bas" de l'info. Il s'agit maintenant d'entretenir un dialogue constant avec ses lecteurs (commentaires, community management, reverse publishing).
- Le journalisme de données (sur lequel il est inutile de s'étendre.
Voilà, informer, c'est faire un peu de tout cela.
Et pour info, je préfère Gaston Leroux à Albert Londres ;)
La majorité des articles soumis en science nature sont acceptés, alors qu'en science humaine c'est une minorité. La pertinence d'un article évolue non plus en fonction de critère de réfutabilité, mais de capital symbolique au sein de champs de savoir, ayant leurs propres critères de vérité, et eux-mêmes sont sujet à des révolutions dans leur paradigme.
RépondreSupprimerLe tableau synthèse n'est pas le buzzword qui attire le lecteur dans un fil RSS ou qui fera un grand titre, mais il a le mérite d'économiser du temps au lecteur. Le Web c'est aussi la possibilité de lire des journaux en continu de partout dans le monde pendant 72h et ce pour un seul cycle de 24h. La contrainte temporelle d'une population toujours plus pressée et spécialisée implique subordonne le fond à la forme. Si un article n'a pas des mots significatifs en ordre decrescendo et qu'il n'a pas les bons tags, le lecteur pressé ne le lira pas. La science par un esprit de s’implication colle à cette réalité.
L'histoire ou le récit c'est la relativisation du signifié et du signifiant. D'ailleurs, la réalité de l'écrivain est différente de celle du lecteur. En lançant une bouteille à la mer, le journaliste espère une pêche miraculeuse de lecteurs. Il y a une dimension plaisir à l'information. Or, le lecteur, aussi scientifique soit-il, à des valeurs et la science est faite par des ayant des valeurs eux aussi. On ne lit pas pour être réconforté, mais pour être stimulé. L'idée d'un article au contenu original est souvent associée à la dénonciation ou au compte rendu d'un progrès. Il faut rappeler que si on progresse positivement ou négativement vers une fin, cette fin est arbitraire. Un nombre à de l'importance à l'échelle humaine.
L'avantage d'un journalisme d'analyse et de présentation des informations située dans les bases de données de par le monde est que maintenant les coalitions d'une cause minoritaire peuvent espérer renverser l'orthodoxie d'une coalition dominante en société. Comme l'expert n'est plus seul, les hiérarchies tombent, l'information en réseau de pairs aux valeurs scientifiques semblable peut maintenant rejoindre les intéressés potentiels. La synthèse c'est aussi la mort des Grands récits, mais c'est surtout la démocratisation de la technocratie.
Vous essayez de rationnaliser un peu trop scientifiquement une matière qui ne l'est pas : l'actualité en marche. Et je ne suis pas d'accord avec l'idée que la technologie soit forcément synonyme de démocratisation de l'information. Avec le flux internet et l'irruption du temps réel permanent, le lecteur est en train de perdre le fil. La banalisation,la duplication et la perte de sens menacent...
RépondreSupprimerC'est là que le récit intervient. Les Grands récits ne meurent jamais...ils sont vieux comme l'Humanité, l'Iliade et l'Odyssée. Sans eux pas d'histoire ni mémoire, donc pas de présent ni de futur. Le journalisme pour moi, c'est un peu l'histoire du présent. Son rôle doit être plus que jamais de raconter les faits de la manière la plus honnête, pertinente (et au besoin agréable)en rassemblant le puzzle d'une actualité de plus en plus éclatée et obèse.
Loin de moi l'idée de "rationnaliser scientifiquement" le journalisme. Je disais justement qu'il y avait grâce à internet, de nouvelles manières de raconter l'Histoire du présent.
RépondreSupprimeroups, je n'avais pas vu que votre réponse ne m'était pas destinée... ;)
RépondreSupprimerL'exemple vient de la jeunesse ainsi mon cousin, Jean Robin, qui mérite le prix Albert Londres : http://tatamoche.blogspot.com/2010/02/le-prix-albert-londres-pour-mon-cousin.html
RépondreSupprimerExcellent article. Je suis tt à fait d'accord avec vous. Ce sont les vidéos "Did u know" égrenant des chiffres sur le web qui ont renforcé mon sentiment de vacuité à l'égard de "l'infobésité", un terme qui devrait rentrer dans le langage courant.
RépondreSupprimerAnonyme a dit...
RépondreSupprimerJust DO it!
Examples:
http://j.mp/9eRFFB (boring!)
http://j.mp/9P5u4v (boring!-Who cares?)
http://j.mp/bC9E3M (You really believe I'm going to read THAT!)
http://j.mp/zOvYI (Nice and useless)
http://j.mp/c6332i (Might be nice, if I could understand what it's all about?!?!)
The "NEW STUFF" in town???
RépondreSupprimerBoring information since 1989:
http://j.mp/9sLkly
Bon billet et excellents commentaires qui poursuivent un débat actuellement très à la mode dans le milieu journalistique.
RépondreSupprimerSAUF QUE :
- La plupart des intervenants (y compris mademoiselle Goulard, ont leur propre définition et vision du "data journalism", puisque tout comme l'hyperlocal, personne ne s'est encore entendu sur une définition claire.
- La plupart des intervenants ici et ailleurs décrivent le "data journalism" comme un mélange de statistique et d'infographie.
Etant moi même un expert en conception et en gestion de Bases de Données ainsi qu'en traitement automatisé de l'information avec un certain nombre d'années d'expérience dans ces domaines, permettez moi de donner un avis sur le sujet :
Le journalisme de données, ce n'est pas uniquement des chiffres et un beau dessin ou un graphe.
Pourquoi ?
- Une donnée n'est pas simplement un chiffre (ce peut aussi être un texte, une photo, une vidéo, ...)
- La synthèse de plusieurs données ne se résume pas à créer un objet graphique.
En effet, il est possible de ressortir la quintessence d'une série de données sous la forme textuelle et même littéraire chère à M. Féraud. C'est d'ailleurs ce que font tous les journalistes professionnels du monde entier tous les jours depuis 200 ans.
Amis des médias :
Considérez plutôt le "journalisme de données" comme un outil et un auxiliaire aussi précieux que la comptabilité analytique l'est à l'entrepreneur.
Voyez y un outil de pilotage du flux d'informations qui vient à vous.
Pourquoi opposer les deux approches ? Elles sont forcement complémentaires. Pourquoi perdre de l'énergie en permanence dans des débats stériles ?
RépondreSupprimerLa thématique du « journalisme de données » (database journalism) suscite des échanges de points de vue très intéressants et très opposés. Une sorte de querelle des anciens et des modernes, qui s'explique à mon avis par la préférence accordée par les journalistes français aux commentaires sur les faits. Rédacteur en chef adjoint au sein de l'agence de presse AEF,je détaille ce point de vue ici: http://monjournalisme.fr/2010/04/ce-que-cache-le-debat-sur-le-journalisme-de-donnees-en-france/
RépondreSupprimerBalivernes ! Lignes de code et journalisme n'ont rien à faire ensemble ! Au risque de paraphraser Albert Londres, la seule ligne que le journalisme connaisse, c'est bien celle du chemin de fer !
RépondreSupprimerJe reste pour ma part persuadé que le data journalisme est avant tout un boulot à mettre dans les mains de scientifiques, ou tout du moins de personnes ayant reçu une telle formation.
RépondreSupprimerOn va d'ailleurs mettre en place très rapidement en place une filière de dataviz dans des écoles plutot portées sur l'informatique en Tunisie, on va voir de que ça va donner en pratique et quitter un moment les discussions théorique :D
Le problème, comme tu le souligne bien dans ton article, c'est qu'en France, il faut partir de l'existant, et qu'au final, c'est un sacré handicap. Dans dix ans on en sera encore au même point, tout comme dès 2004 on opposait les blogueurs aux journalistes, voilà poindre le relais de la sacro sainte opposition entre les anciens et les modernes. On s'en sort pas. C'est dommage.
Je suis tombé là dessus:
RépondreSupprimerhttps://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjUzfWxj87QAhVJcRQKHSc4DgkQFggdMAA&url=http%3A%2F%2Fwww.technikart.com%2Fce-type-a-invente-le-data-gonzo-las-vegas-schyzo%2F&usg=AFQjCNEj_9GJI19fITmYpKc6dU9S5OlMqQ
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