"Dématérialisation"...Quel mot affreux pour les vrais amateurs de musique et tout particulièrement LE fan de Rock* . Pensez-donc : ce mâle occidental de 30 ans et plus (désolé les filles c'est le portrait robot du rocker audiophile tel que le décrivent les sondages**) a patiemment construit sa discothèque pendant une, deux, trois, quatre décennies, accumulant les raretés et les incontournables en 33 tours, bandes magnétiques, K7, puis CD... Il est passé vaillamment, mais la mort dans l'âme, du microsillon qui en avait une, au tristounet mais bien pratique compact-disc. Et voilà qu'enfer et damnation déboule au tournant des années 2000 le format de compression mp3 encore plus pratique...mais pour le coup totalement désincarné. Exit les pochettes mythiques et sensuelles (la banane d'Andy Wharol pour le Velvet, la braguette du "Sticky Fingers" des Stones, la robe de David Bowie sur "Hunky Dory" !), disparus les beaux livrets avec les photos du groupe et les paroles des chansons, au grenier les beaux vinyles noir siglés Decca des pierres qui roulent et les galettes multicolores des early seventies ("Sergent Peppers" des Beatles en jaune fluo !)... Et voilà que des cartons entiers de CD s'apprêtent à partir à la cave. "Ex-Fan des sixties où sont tes années folles ?", chantait Lady Jane.
La bien nommée "industrie" musicale qui a vu ses ventes "physiques" plonger de 15 % par an ces deux ou trois dernières années en a fait son deuil du disque ! Concurrents réduits au mariage forcé, labels fermés, écuries d'artistes nettoyées, ligne de production de CD fermées...les quatre Majors (Universal Music, Sony Music, Warner, EMI) ont compris qu'il y avait plus de marge à se faire dans la vente en ligne et l'organisation de concerts, quand bien même faut-il partager avec Apple et les grands "tourneurs". Et voilà que pour toute une génération - les "digital native" disent les marketeurs...on dirait une secte - la musique est devenue "liquide" (ce qui va bien à la soupe diffusée un peu partout sur les ondes) : téléchargeable façon puzzle "anywhere, anytime, any devices" après visionnage sur YouTube. Et vas-y que je te pioche sur BitTorrent (c'est interdit mais gratuit) ou sur iTunes (c'est légal mais je te le fais à 0,99 euros le morceau) une scie pop de "High School Musical" ou le nouveau single gentillet de Lilly Allen. Au fait c'était quoi un bon album produit comme une oeuvre artistique cohérente ?
En revanche, le fan, le vrai, celui qui a laissé sa chemise aux maisons de disques en amassant 800 disques à 18 euros l'unité, ne dira pas merci au Fraunhofer Institute l'un des principaux co-inventeur du format mp3 homologué en 1995. Ni à Shawn Fanning, l'informaticien boutonneux qui a lancé Napster, le pionnier de tous les sites de téléchargement illégaux en 1999. Et encore moins à Steve Jobs, l'Onc' Picsou d'Apple qui a réussi le tour de force de capter l'essentiel des ventes de musique en ligne en enfermant consommateurs et Majors dans son coffre-fort numérique iTunes. Les Beatles avaient du flair lorsqu'ils lui intentèrent voilà 30 ans un procès pour usurpation de la Pomme d'Abbey Road... "Ce Vieux con nous fait sa crise de la quarantaine", pensera le jeune cybergandin les écouteurs de son iPod vissés sur les oreilles. Raté ! En cette fin de décennie funeste, voilà venue la revanche du puriste pour qui "la vie est un pur moment de rock'n roll" comme dirait Vincent Ravalec. Tous les augures marketing et branchés sont formels : le banal CD est totalement "Out" c'est un fait, mais ce bon vieux vinyle revient au top de la "hype", définitivement "In" décrètent les faiseurs de tendances et faiseurs tout court. Le très sérieux institut Nielsen Soundscan confirme : en 2008 aux Etats-Unis, il s'est vendu 1,9 million de 33 tours, soit 90 % de plus qu'en 2007. Et la courbe monte en flèche cette année. On est loin des milliards de morceaux bêtement téléchargés dans les règles ou non. Mais il se passe quelque chose : le vinyle sort du ghetto des DJ "scratcheurs" pour retrouver sa place sur nos platines. Mes parents m'en ont offert une voilà deux ans pour que je les débarrasse de ma collection de microsillons qui prenait la poussière depuis 20 ans : le plus beau cadeau qu'on m'ait fait. Redécouvrir l'obscénité et la fureur du premier Sex Pistols acheté à Soho en 1979 entre deux patins roulés à ma correspondante anglaise...que du bonheur ! Et depuis, ma collec s'est considérablement étoffée. Par l'odeur du flouze alléchée, les Majors rééditent en vinyle (tout Gainsbourg, tout Coltrane...) et éditent même des artistes qui n'était même pas nés quand le CD a réglé son compte au 33 tours (le dernier Mika). On refait quelques courses donc à la Fnac et Virgin. Mais le vrai bonheur c'est celui du chineur : cap sur les vide-greniers de rentrée, de la patience armée d'un oeil de lynx et c'est bingo ! Au hasard et au coup de chance, votre serviteur a déniché le premier disque de la divine Blondie (celui avec le fameux succés disco-punk "Heart of Glass"), le formidable "Transformer" de Lou Reed made in 1973, ou encore le monumental opéra-rock "The Wall" du Floyd... Avec pochette un peu défraichie et quelques craquements en prime il est vrai, mais cela fait partie du cachet "vintage". Et puis quel son chaleureux comparé aux 128 kbps à la tonalité métallique du fichier mp3. Prix moyen ? Entre 3 et 5 euros ! Quatre à six fois moins cher que chez nos disquaires précités. Oui c'est bien mal acquis je l'admets. Mais bien fait pour les mamy tromblons qui bazardent sans prévenir la collection de fiston sans savoir que le vinyle est définitivement de retour !
Jean-Christophe Féraud
* Mot générique pour désigner un continent sonore allant du Blues primitif du Delta à la fraicheur cockney des tout jeunes Arctic Monkeys, de la pop symphonique des Beach Boys aux riff binaires des Ramones, du post-punk sépulcral de Joy Division à la house festive de LCD Soundsystem...
** Quoique j'en connais une de jolie fille qui a les mêmes disques que moi !
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Whaou ! ça, c'est du vécu ou on ne s'y connaît pas ! Ce qui serait marrant, c'est de voir si la correspondante anglaise a gardé 1) ses disques 2) les mêmes souvenirs...
RépondreSupprimerEn tout cas, bravo.
Olivier Mongeau
Voua je suis sûr que toi aussi tu as des souvenirs de patins roulés à une correspondante (teutonne peut-être ?). Sinon merci de me lire cher camarade et confrère de 20 ans...et je te recommande de succomber à la nostalgie vinyle !
RépondreSupprimerJC
Avec le temps pourri qu'il fait en ce moment, et après avoir lu ce doux hommage aux vinyles, on aurait envie de rester au chaud chez soi à écouter le 33 tours de U2 "War".
RépondreSupprimerMerci JC pour cet agréable moment.
Merci cher anonyme. Moi vu l'ambiance dans Paris en ce moment moi ce serait plutôt "Unknown Pleasure" de Joy Division... Un diamant noir enregistré à la même époque...
RépondreSupprimerJC
Merci pour cet article sur ce support que nous aimons tant!
RépondreSupprimerOui le vinyle n'est pas mort, depuis la rédaction de ce billet les ventes sont même en constante augmentation, viva el vinilo!