vendredi 20 novembre 2009

Kraftwerk, la bande son originale de nos années numériques

Un blog high-tech peut-il raisonnablement faire l'économie d'une chronik sur Kraftwerk, dont les huit albums ressortent ces jours-ci en intégrale remastérisée ("The Catalogue"*) chez EMI ? La réponse est définitivement NEIN ! Rien à voir avec les célébrations fort convenues de la chute du mur de Berlin. Cette formation musicale allemande underground a vu le jour à Düsseldorf et a inventé voilà 35 ans le concept d'"Industrielle Volksmusik" ("musique industrielle populaire")...autrement dit la musique électronique.
C'est un temps et un nom que les moins de 30 ans peuvent ne pas connaître, comme disait l'autre. Mais sans Kraftwerk, pas de Techno ni d'Electro, pas de House music ni de Rave party... Dans son mystérieux studio Kling  Klang, le quatuor dirigé par Ralf Hütter et Florian Schneider a juste imaginé la bande-son de l'ère numérique au moment même où Bill Gates et Steve Jobs, encore boutonneux, conceptualisaient de leur côté ce qui allait devenir l'informatique grand public...

Boucles synthétiques d'une rare beauté témoignant d'une solide formation classique (Ralf et Florian ont fait le Conservatoire), beats numériques influencés par la musique répétitive allemande (Stockhausen) et l'ambiance industrielle de la Rürh (Kraftwerk signifie "centrale électrique"), obsession du mariage de l'homme et de la machine (le groupe a été jusqu'à faire jouer des robots à sa place en concert)... Il faut réécouter Kraftwerk pour prendre conscience de son empreinte énorme sur la musique contemporaine : le regretté "jeune homme moderne" Jacno et le génial David Bowie ("Low", "Station to Station", "Heroes") à la fin des années 70; New Order (et son fameux "Blue Monday") dans les années 80, les pionniers de l'électro (Underworld) ou de la "french touch" (Air) dans les années 90; et les DJ mass market d'aujourd'hui (David "F... me I'm famous" Guetta) ou plus pointus (Laurent Garnier, Kruder Dorfmeister)...Tous ont une dette immense vis à vis de Kraftwerk. Peu de tubes proprement dits mis à part "Radioactivity" et "We are the Robots" (voir clip ci-dessous). Certains pourront moquer le son Bontempi un peu daté de quelques titres, mais en redécouvrant l'ensemble la discographie on s'émerveille devant l'intelligence et la cohérence du projet musical...

Kraftwerk - We are the Robots
Personnellement, je me souviens du jour où mon père a ramené l'album "Autobahn" à la maison en 1974 ou 1975 : bercé au blues des fifties et au rock des sixties, le petit garçon que j'étais a eu le choc musical de sa vie. La pochette (une Mercedes roulant sur une autoroute déserte sous un ciel bleu et ensoleillé) et la musique futuriste reproduisant la rumeur de la civilisation automobile invitaient aux vacances direction le grand Sud. Mon "Nationale 7" à moi ! Puis il y eu dans le même goût "Trans Europe Express", en plus glaçant. Entre le sttacato du train utilisé comme rythmique, leur look bien trop propre (chemises, cravates, brillantine...) et le recours à une symbolique dangereuse (le rouge et le noir, l'imagerie très Leni Riefenstahl), Kraftwerk fut suspecté de fascination fascisante, de complaisance néo-nazie. Tout faux ! L'époque était à la provocation (les Punk arboraient des croix gammées, Bowie ressemblait à un gestapiste, sans parler de Joy Division...).
Kraftwerk était juste Növo, en avance sur son temps jetant les bases intemporelles de la BO de nos années numériques et du "Computer World" d'aujourd'hui. Ralf et Florian sont aujourd'hui de jeunes sexagénaires et se font rares en public, préférant s'effacer derrière leur "Men machines". Mais ils sont peut-être, en ce moment même, en train de réinventer le son des années 2010 en alliant le "vintage" d'un vieux synthé Moog à la puissance d'un supercalculateur. On les imagine très bien dans leur studio Kling Klang comme deux savants fous en blouse blanche. Alors à tous les jeunes "digital native", je dis : un peu de respect ! Ne téléchargez pas Kratwerk gratos, achetez leur musique pour comprendre et mieux apprécier vos goûts synthétiques d'aujourd'hui. Et quitte à jouer à fond la nostalgie proto-numérique, pourquoi ne pas les réécouter en vynile ? (voir cette chronik) ...
Jean-Christophe Féraud
* "The Catalogue", l'intégrale de Kraftwerk (8 albums remastérisés), EMI, sortie le 21 novembre entre 82 et 90 euros, chez vos disquaires physiques ou en ligne habituels.

5 commentaires:

  1. J'ai moins de trente ans et Kraftwerk fait pourtant parti de mon panthéon musical depuis quelques années, génie visionnaire oblige. J'aime moins en revanche leurs travaux plus récents.
    Métropolis, Métropolis...

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  2. Merci d'avoir lu cette chronik et pardon si j'ai pu laisser croire que les moins de 30 ans sont incultes musicalement ;-)Avec Internet c'est souvent tout le contraire ! Ravi de savoir que Kraftwerk traverse ainsi le temps sans encombres jusqu'à vos oreilles. Et je suis tout à fait de de votre avis, leur meilleure période c'est 1974-1981...

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  3. Hello !

    Je découvre cette très intéressante chronique. J'ai 36 ans et j'ai découvert Kraftwerk il y a 5 ans environ. Depuis c'est pour moi un truc inégalable, "le bruit et la fureur" de la musique. Toute le trame de notre époque fascinée par la technologie se retrouve là-dedans. à mon avis c'est tellement génial et tellement profond que ce n'est pas facile à décrire. Trans Europ Express, Numbers, Man Machine, Tour de France, Radioactivity, Pocket calculator... Des ménestrels contemporains qui racontent l'époque actuelle. Absolument génial, et incroyablement intelligent. Merci pour cet article.

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  4. Jacno, tant de souvenir, j'avais oublié ce pan de la bande son de quand j'étais petit et boutonneux. Merci, j'adore les jambes de elli, elles m'ont tant fait fantasmer.

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  5. 46 ans, le single Trans Europe Express fut mon premier disque, j'avais 11 ans je crois. J'avais commencé par l'enregistrer sur mon radio k7 flambant neuf, sur RTL... Bref, si les jeunes ne sont pas incultes c'est qu'il telechargent, puis achetent si ça leur plaît. Enfin je crois.

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