Ecce 1, le robot cyclope au squelette humanoïde |
Il y en a de toutes sortes : humanoïdes, zoomorphiques, pédomorphiques, montés sur roues, sur chenillettes, nageant comme des poissons, ou glissant sur le sol comme de drôles soucoupes... Un « défilé de robots » comme en aurait rêvé Isaac Asimov s'est déroulé du 23 au 25 mars dernier au Palais des Congrès de Lyon sous les yeux d'un public de « geeks » émerveillés et curieux comme des enfants. Pour sa première édition, le salon InnoRobo, organisé par le syndicat français de la robotique Syrobo présidé par Bruno Bonnell, a réussi à attirer les stars mécaniques et plus ou moins intelligentes de cette industrie que l'on dit émergente... depuis Jules Vernes.
Plus d'une centaine de robots venus du Japon, de Corée du Sud, des Etats-Unis, mais aussi de l'Hexagone ont rivalisé de démos pour capter l'attention des visiteurs... et des acheteurs ou investisseurs potentiels. L'ancien patron de l'éditeur de jeux vidéos Infogrames, Bruno Bonnell, reconverti dans la robotique de services avec sa société Robopolis, y croit dur comme fer : «Cette fois la robolution est en marche ». Il lui a même consacré un livre récemment paru aux éditions JC Lattès.
UN MARCHE DE 85 MILLIARDS D'ICI 2018 ?
Le marché est aujourd'hui dominé par la robotique industrielle, qui pesait en 2009 plus de 18 milliards de dollars, avec 100.000 robots déjà vendus à l'industrie automobile, aéronautique, manufacturière (etc...). Mais ces robots sont hors sujet à InnoRobo, où l'on se passionne avant tout pour le robot compagnon ou assistant de l'homme. Au centre de tous les espoirs et attentions à Lyon, la robotique de services (loisirs, éducation, transport, assistance à la personne, domestique...) ne représentait elle « que » 3,3 milliards de dollars de chiffre d'affaires l'an dernier, avec 8,7 millions de robots installés dans le monde selon l'International Federation of Robotics (IFR). Mais les professionnels veulent croire que ce marché va exploser. Bruno Bonnell parle volontiers de « nouvelle frontière » après la révolution numérique. Toujours selon l'IFR, ce marché des robots de services pourrait ainsi être multiplié par trente à plus de 85 milliards de dollars d'ici 2018...
A InnoRobo, on n'en est pas encore là. Les robots déployés par les exposants tentent d‘attirer les visiteurs par tous les moyens. Facile pour les humanoïdes comme le fameux Nao (en vidéo ci-dessous) de la société française Aldebaran Robotics. Le petit robot blanc (56 cm) qui semble tout droit sorti d'un film de Science Fiction des années 1980 s'est déjà vendu à plus de 1.000 unités pour un prix compris entre 4.000 et 16.000 dollars. Principalement à des chercheurs et des universités. Mais ses concepteurs espèrent bien développer un usage de compagnie ludo-éducatif, à l'école mais aussi thérapeutique en essayant d'interagir par exemple avec des enfants autistes. Nao peut en effet être chargé de plusieurs logiciels de conversation. Il sait raconter des histoires... et aussi danser.
Le cousin de R2-D2
Dans la même famille des petits robots de compagnie il y a aussi Irobi du coréen Yujin Robots, qui assiste déjà des maîtresses d'école et apporte son aide à des personnes âgées au pays du matin calme. Plus proche de R2-D2 du film Star Wars, le Jazz (photo) du français Gostai est un drôle de robot vaguement humanoïde monté sur roulettes avec une tête en forme d'écran : normal, il offre des solutions de télé-présence et visio-conférence aux entreprises. Bruno Bonnell l'a d'ailleurs utilisé lors de la conférence de presse présentant InnoRobo en dialoguant à distance avec Jean-Christophe Baillie, le fondateur de Gostai. Avec peu ou prou la même apparence, le Kompaï de Robosoft se propose lui d'aider les personnes en situation de handicap ou dépendantes d'une assistance.
Mais pour s'adapter à un environnement humain, les robots savent aussi prendre la forme de petits chiens comme le Genibo de Dasarobot, lui aussi coréen. Son créateur le présente comme « le premier robot émotionnel » et le meilleur ami électronique de l'homme. De fait, Genibo se dandine comme un fox-terrier, sait lui aussi danser, jappe quand il est content et baisse les oreilles quand on le gronde.
Robots guerriers
Le packbot d'iRobot |
Le parfait domestique tente lui de répondre à son usage : l'aspirateur « intelligent » Roomba, qui est aujourd'hui le robot le plus vendu au monde (5,6 millions d'exemplaires pour un prix compris entre 300 et 800 euros en fonction des modèles), ressemble lui à une soucoupe qui se déplace toute seule dans les pièces en s'adaptant à son environnement. Si elle bute sur une plinthe, la machine discobole fait demi-tour et c'est reparti pour un tour d'aspiration ou de lavage des carreaux. Son fabricant, l'américain iRobot, est aujourd'hui le leader mondial de la robotique de service et de sécurité avec un chiffre d'affaires qui devrait dépasser les 450 millions de dollars cette année. Mais il le doit autant à ses robots ménagers qu'à ses robots guerriers : les Sword et autres Packbot (photo) sont aujourd'hui déployés en Irak et en Afghanistan où ils assurent des missions de déminage et de surveillance, parfois équipés d'armes léthales... mitrailleuses, canons rotatifs, missiles comme les drones volants Predator. Un exemplaire inquiétant monté sur chenillette et équipé d'un bras articulé tente de se rendre sympathique dans les allées d'InnoRobo. Après tout n'est-il pas le héros du film « Démineurs » de Kathryn Bigelow ?
Tout le contraire, celui qui plaît le plus aux enfants est peut-être Pleo : ce jeune robot dinosaure distribué par Robopolis « apprend à vivre auprès des humains ». Rien à voir avec Jurassic Park. Bien sûr les fabricants de jouets n'ont pas laissé passer l'aubaine : Lego propose sa gamme Mindstorm pour apprendre la robotique en s'amusant. Au rayon étonnant, il y a aussi Jessiko de Robotswim qui nage comme un vrai poisson dans l'eau : on le croise dans les parcs d'attraction mais il peut aussi servir à la surveillance des piscines pour éviter les noyades.
"PAS DE LIMITES AUX ROBJECTS"
En tout état de cause, les robots les moins humanoïdes seront sans doute les plus utiles : la société Bioparhom propose par exemple toute une batterie de services robotisés autour de la mesure électrique du vivant (télémédecine, diagnostic à distance). Il y a aussi Topchair, un fauteuil roulant à la motricité robotisée qui sait monter les escaliers... Ce qui faisait dire au chercheur japonais Fumyia Lida intervenant lors d'une conférence dédiée au design des robots de demain : « Errare Humanoid Est »... en substance l'avenir n'est pas forcément aux robots nous ressemblant. « La forme doit plutôt s'adapter à l'usage même si l'aspect humanoïde facilite l'acceptation par les humains », reconnaît ce scientifique du Biorobotics Labs de Zurich.
Plus radical, le designer français Dominique Scianna du Strate College appelle lui de ses voeux l'avènement des « Robjects » : pour lui, « tous les objets ont vocation à interagir avec nous demain, jusqu'aux chaises et aux murs qui nous entourent... il n'y a pas de limites ! ». Cet ancien chercheur en intelligence artificielle rêve de pouvoir façonner de la Claytronics, « cette pâte moléculaire nanorobotisée et programmable qui pourra prendre la forme que l'on veut ». Dans un registre plus inquiétant, les partisans du transhumanisme, pas vraiment présents à InnoRobo, prônent eux « l'augmentation de l'homme par la machine » dans un rêve d'immortalité. Mais dans l'immédiat, ce qui intéresse les malades, c'est « l'augmentation de l'homme diminué par la machine » avec des prothèses de plus en plus bioniques, rappelle fort justement Fumyia Lida. Quant à l'intelligence des robots, c'est un sujet en soi qui fera l'objet d'une autre conférence à InnoRobo.
JEAN-CHRISTOPHE FERAUD
« Errare Humanoid Est »
A quoi ressembleront les robots qui évolueront demain parmi nous frères humains ? Depuis les origines de la Science-Fiction -de Jules Verne au cyber-prophète Isaac Asimov en passant par Fritz Lang et son « Metropolis » -l'homme a rêvé le robot à son image. Répliquant consciemment ou non le fantasme du Golem et de la créature humanoïde de Frankenstein. Mais chercheurs et spécialistes ne sont plus aussi sûrs que ce soit la bonne voie : « Errare Humanoïd Est », résume Fumyia Lida, un roboticien japonais qui travaille au bio-Inspired Robotics Laboratory de Zurich en Suisse. « Quand on demande aux gens à quoi doit ressembler un robot, ils répondent invariablement ‘à un être humain'. A mon avis il faut repenser cela », dit-il. Pour lui, « la forme du robot doit s'adapter à son environnement comme un poisson dans l'eau ».
Le robot Eve de Friz Lang dans "Metropolis" Colin Angle, le PDG de la firme américaine iRobot, en sait quelque chose : son fameux robot ménager Roomba s'est vendu à plus de 5,6 millions d'exemplaires depuis son lancement en 2002. Cet aspirateur autonome ne paie pourtant pas de mine : il ressemble à une petite soucoupe montée sur roulettes. « Mais l'usage fait le succès. Les gens ne veulent pas faire le ménage, si on leur enlève cette corvée, ils adoptent avec enthousiasme le robot et s'y attachent ». Bruno Bonnell, le PDG de Robopolisqui distribue Roomba en France, confirme tout sourire : « Il arrive que l'on nous ramène un Roomba en panne en nous disant : ‘s'il vous plaît, réparez Joséphine' ».Alors pour Colin Angle, « Au jour d'aujourd'hui, c'est une erreur de dépenser des millions de dollars dans l'espoir de développer un androïde qui coûtera trop cher pour être développé en série et sera très fragile », assène ce business man. iRobot dépense 35 millions de dollars par an dans la R&D (pour 450 millions de dollars de chiffre d'affaires cette année) mais pour développer des robots « utiles » : son dernier prototype, Ava, a l'ambition de devenir un assistant domotique qui commandera tous les terminaux en réseau de la maison : des volets roulants à la lumière, en passant par l'écran de télévision-ordinateur et le four de la cuisine. iRobot espère le commercialiser d'ici trois ans. Une piste retenue par la start-up française Gostai qui a développé, avant iRobot, le robot de télé-présence Jazz qui ressemble un peu à Ava.Ava n'est que très vaguement humanoïde, elle (c'est une fille) ressemble à une majordome à roulette façon R2D2 avec un écran à la place de la tête. Une piste jugée pleine d'avenir par Frédéric Kaplan, un chercheur français qui a longtemps travaillé sur le petit chien robot Aïbo de Sony avant de fonder sa start-up Ozween liaison avec le laboratoire de robotique de l'Ecole Polytechnique de Lausanne. « L'arrêt de Aïbo par Sony nous a poussé à repenser la forme des robots après avoir beaucoup appris de lui », explique-il. Pour lui, « le futur, c'est le mariage de l'ordinateur et du robot : le PC n'a pas beaucoup changé depuis 20 ans ». « Le robot compagnon que j'imagine ressemblera demain à un écran sur un bras articulé qui sera capable de reconnaître et suivre votre visage, de comprendre vos paroles et donc d'interagir avec vous », s'enthousiasme Frédéric Kaplan. Son laboratoire a développé un prototype avec le designer Marco Esposito qui a été exposé au musée d'Art moderne de New-York. Bingo : « les visiteurs se sentait bien avec notre robot-PC, ils étaient curieux et désireux d'interagir ». Le robot-PC est peut-être la nouvelle frontière de l'informatique. Pour la chercheuse française Alexandra Deschamps-Sonsino, «évangéliste » du projet universitaire européen LIREC (Living with Robots and Interactive Companions), « un bon robot doit vous comprendre et percevoir vos mimiques, votre gestuelle émotionnelle pour interagir avec vous ». D'où l'importance des recherches en reconnaissance faciale (et vocale) popularisée par le succès du système de jeu Kinect de Microsoft. Mais attention, « comme un iPhone, le robot sera un compagnon digital, pas un ami car il n'y a pas d'accointance réelle homme-machine », estime-t-elle. Pour Alexandra Deschamps, « les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter qui remplacent l'email et les relations humaines directes sont déjà une préfiguration immatérielle de la robotisation de nos vies ».Exit donc la piste du cyborg à notre image ? Pas forcément : « Si un robot doit vivre dans un environnement humain, il vaut mieux qu'il ressemble à un humain pour faciliter les interactions et son acceptation », estime Fumyia Lida. « Les Japonais sont passionnés par les robots antropomorphes », confirme l'anthropologue Fujiko Suda.... Mais il faudra des décennies de recherche et des milliards de dollars pour faire du rêve d'Asimov une réalité. Les répliquants de « Blade Runner », le film inspiré de l'oeuvre visionnaire de Philip K.Dick, ne sont pas pour demain. Il faudra d'abord répondre à la question du romancier : «Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?». C'est-à-dire sera-t-on capable un jour d'offrir l'intelligence artificielle aux machines et dans ce cas auront-elles une conscience... presque humaine ? Avec tous les risques que cela implique. Avec sestrois lois de la robotique*, Isaac Asimov a déjà tout prévu pour empêcher la créature mécanique de nuire à son créateur. Elles serviront peut-être un jour, mais sans doute pas avant la fin du siècle. J-C.F
DE L'APPRENTI SORCIER AUX PLANTES CARNIVORES...
Exit le cyborg humanoïde donc, « n'importe quelle forme est susceptible de devenir un robot », expliquait hier doctement le designer français Dominique Sciamma, à l'occasion d'une conférence dédiée à l'apparence future des robots organisée au salon Innorobo. Ce professeur au Strate College parlait de son rêve d'une pâte moléculaire nanorobotisée dite « Claytronics », qui permettrait un jour de programmer le design des objets de manière interactive : tables, chaises, murs auraient ainsi le don d'interagir avec nous et de changer de forme, de couleur ou d'usage en fonction de nos moindres désirs d'architecture intérieure... « Les objets prendront vie comme dans l'apprenti sorcier de Disney. Ils communiqueront entre eux. Je rêverai d'assistera à un marivaudage entre un lampadaire et un banc public », fantasmait à voix haute l'orateur. Ce marivaudage des objets robotisés est précisément le projet développé par l'un des ses étudiants dans le cadre du projet Robjects. « Mon option de l'avenir ? Les objets seront nos égaux. Les robots vont mettre en application et terminer le programme de Nietzsche : ils vont tuer Dieu ! », a lancé ce designer fou avec un sens assumé de la provocation.
Cette lampe-robot s'éclaire à l'insecte Encore plus radical peut-être, son collègue britannique James Auger du cabinet de design Auger-Loizeau. Ce diplômé du Royal College of Art s'est lancé dans un projet plutôt mordant : des « robots carnivores de divertissement » ! « Mon point de départ : quel usage faire d'un bel objet d'ameublement ? Une table basse par exemple. Pourquoi ne pas en faire un robot autonome en énergie grâce à la digestion des mouches ? », expliquait-il hier lors de la même conférence avec un grand sourire... malgré l'air un peu dégoûté de l'assistance. De fait, la table basse en question,qui s'inspire des plantes carnivores, est très design... à cela près qu'elle comporte un petit tapis roulant attrape-drosophiles ! La décomposition des insectes est transformée en électricité. Assez pour éclairer par exemple de jolis diodes sur cette table qui a de l'appétit.Encore moins ragoûtant, un prototype a lui été designé pour piéger des souris... On est plus proche de l'Art performance conceptuelle que de la robotique. Mais James Auger travaille aussi sur des pistes plus « sérieuses » : des appartements qui seraient aussi bien conçus pour des humains que des robots. «On peut imaginer des codes barres ou des puces RFID dans toute la maison pour que le robot domestique reconnaisse l'objet qu'il doit prendre et ranger, des poignées spéciales adaptées à son ergonomie etc.», explique-t-il. Avec ce type de concept, le robot risque de devenir un colocataire assez envahissant en terme d'aménagement intérieur. Mais il pourrait rendre d'immenses services aux personnes en situation de dépendance. James Auger sait aussi s'amuser : avec un ami, il a conçu un drôle de robot lanceur de balle d'appartement pour un fox-terrier qui ne sait plus s'arrêter quand on joue avec lui à la « baballe ». Sur la vidéo, le toutou en redemandait encore et encore... de quoi rendre fou tout être humain normalement constitué. Le robot, lui, fait preuve d'une patience infinie. J-C.F
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