Le journalisme est d'abord affaire de chair et de récit. C'est une science humaine imparfaite et subjective qui se prête difficilement à toute tentative de rationalisation informatisée...C'est ce que j'essayais d'expliquer ce dimanche 14 novembre sur les ondes de France Culture où j'étais invité à débattre du "data-journalisme" par Xavier Delaporte, le producteur de l'excellente émission Place de la Toile. Autour du micro face à moi (?), deux jeunes et néanmoins brillants spécialistes de ce fameux "journalisme de données": Caroline Goulard d'ActuVisu et Nicolas Kayser-Bril du site Owni. Ensemble nous avons gentiment refait le match d'une discussion initiée sur ce blog.
Depuis ce billet un peu polémique où je m'interrogeais sur la pertinence de cette nouvelle technique consistant à présenter l'information sous forme exclusivement visuelle, je fais figure de grand détracteur de ce fameux "journalisme de données". Car je crois encore et toujours qu'une belle plume vaut bien mieux que tous les tableaux Excel au monde pour raconter le réel avec des morceaux d'humanité dedans. Et je crois aussi que le lecteur est encore capable de lire 5000 signes voire plus, si on lui raconte une histoire de son temps. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui pensent "qu'une image vaut mille mots" ou qui estiment que "dans un monde d'hypercommentaires la véritable médiation de la réalité se fait par la données" (comme l'écrivait Nicolas Vambremeersch dans un article publié par Slate). Mais je ne suis pas tout à fait obtus: avec la dématérialisation de l'information sur tous les écrans numériques, le data-journalisme est un vrai plus pour comprendre et décrypter l'actualité en train de se faire quand il associe les talents du journaliste, du statisticien, de l'infographiste et du programmeur pour créer de belles infographies interactives ou animées au service du lecteur sur PC, smartphone ou iPad. Il va falloir de plus en plus travailler en "pool". Les rédactions vont devoir se former à cette nouvelle technique qui consiste à collecter des masses de données complexes (chiffres, statistiques, rapports annuels...) pour en extraire des informations pertinentes avant de les présenter sous for me très visuelle, didactique et parfois ludique. Comme le dit Caroline Goulard, "le data-journalisme peut permettre de mieux comprendre le monde". Il concourra à faire de "beaux médias" online. C'est une évidence. Mais j'ai la conviction qu'il ne faut pas confondre l'essentiel - le travail journalistique - et l'illustration qui vient en appui du récit. La véritable médiation de la réalité par le journaliste passera toujours par la parole, l'écrit, le récit, l'analyse, la mise en perspective et le commentaire. Sans ce travail l'image ne dit rien ou trompe celui qui la regarde. «L'image virtuelle, c'est la machine qui voit, qui sent à votre place et vous liquide en tant qu'être actif au profit d'un être passif», a écrit Paul Virilio.
Mais finalement, à la fin du débat, nous étions plutôt d'accord avec Caroline et Nicolas.
Voilà, j'espère que nous avons été clairs tous les trois au micro de France-Culture pour parler de ce sujet assez peu radiophonique. Jugez-en par vous même en cliquant sur le player de l'émission ci-dessous:
Bonjour!
RépondreSupprimerLe traitement visuel de l'info reste du... journalisme! Les mots ne sont pas les seuls outils à notre disposition. Le tout permet de hiérarchiser, donc de servir l'info. :-)
Bonjour Jean-Christophe,
RépondreSupprimerJ'ai été ravie de poursuivre la discussion avec toi grâce à cette très bonne émission #pdlt. Et il est vrai qu'au final nous sommes 'presque' d'accord.
Mais.... comme tu le sais, je ne peux pas m'empêcher de chipoter : le journalisme de données n'est pas de l'illustration, c'est avant tout une manière différente d'envisager le rôle de médiation du journaliste, des process et des méthodes de travail.
A bientôt
Vous avez plusieurs fois annonce au micro: "... je suis d'accord avec vous ...", "... je vous rejoinds ...", "... dans ce cas la bien-sur ...".
RépondreSupprimerQue l'on n'aime pas Excel c'est normal, mais j'ai surtout l'impression que vous voulez defendre un journalisme que vous connaissez et que vous maitrisez, et que vous pratiquez avec brio depuis le temps que je vous lis, mais il faut admettre que cette forme de journalisme qui fonctionne toujours, ne peux plus systematiquement s'appliquer a toutes les sources d'informations qu'il est desormais possible de rencontrer...
Cher Guillaume,
RépondreSupprimerSur ce sujet du data-journalisme, nous n'allons quand même pas rejouer la querelle des anciens et des modernes, des vieux cons réacs et des jeunes gens trop pressés. J'ai suffisamment muté moi-même pour me situer entre les deux ;) Et j'espère être un modeste médiateur entre journalistes analogiques et numériques.
Ce que je dis simplement c'est qu'Au commencement était le Verbe. Puis l'homme a eu besoin de retranscrire la parole par l'image pour ne pas perdre la mémoire et la transmettre. Mais l'image était trop limitée pour la quantité d'informations à faire passer de génération en génération. Alors l'homme tenta d'écrire avec des images: pictogrammes, hiéropglyphes...Mais là encore trop de "datas" à traiter jusqu'à l'invention de l'Alphabet...
Tout cela pour dire que l'écriture, le récit ont toujours été le meilleur moyen de traduire la réalité, de raconter l'actualité en train de se faire, de l'analyser, de la mettre en perspective...Le traitement des infos par l'image est un facilitateur et pourquoi s'en priver ? Je suis d'accord. Mais de là à s'en contenter il y a un risque: celui de la paresse intellectuelle qui conduit à la perte de la mémoire. Dans une interview passionnante à Libération, le musicien Brian Eno exprimait cette même crainte :
"Nous vivons un âge des ténèbres numériques. Nous avons toujours les tablettes de pierre avec les premiers livres écrits il y a 4000 ans, comme l'épopée de Gilgamesh. Mais il devient difficile de trouver une version originale de PacMan. C'est une idée terrifiante et peu de gens ont l'air de réaliser ce qui est en train de se passer. Nous sommes en train de perdre notre passé récent très rapidement (...)"
Je ne partage pas entièrement ce catastrophisme. Mais je m'interroge ici (voir le billet précédent) sur ce risque : par excès de confiance technologique, nous pensons pouvoir faire face à l'infobésité. Tout traiter et tout conserver sur des disques durs. Mais une info chasse l'autre et qu'en reste-t'il si l'image prend le dessus sur le récit ? Rien. Juste une photographie de l'instant enterrée au fond d'une mémoire pas si vive que cela ;)