samedi 27 novembre 2010

Portishead, F****** Good Trip

Depuis quelques temps déjà, ce blog a pris une drôle de tournure sonique. Il y a eu ce post sur David Bowie, puis celui-ci sur Patti Smith. Moins de billets technos/médias, marre de radoter sur notre déroute journalistique...Envie de vous parler musique, photo, littérature, culture, vie...toujours à l'aune de la grande mutation numérique. Envie d'échanges intellectuels et plaisir aussi, découvrir et faire découvrir d'autres plumes folles. Et voilà que j'ai reçu cet Ovni éditorial comme une météorite en plein blogger. La divine Corinne, @Co_SwEuphoria sur Twitter, nous emmène dans son trip Portishead avec un gonzo-style inimitable et une culture musicale impeccable. La grande classe: 
  
Parce que des dates de concert  sont enfin tombées, 23-24 juillet 2011 , parcequ'il fait froid et que l’été prochain sera (trip) hot parce que Portishead reviendra sur scène à Londres pour superviser (de main de maître vu le line -up à miauler de bonheur qui se dessine) les fameuses "All Tomorrows Parties" (Tonton Lou, coucou) . Parce ce que le trio de Bristol nous a promis un nouvel album,  parce que le side-project de Geoff Barrow (Beak) je m’en fous un peu je l’avoue, parce qu’en réalité  la voix, cette voix unique, celle de Beth Gibbons me manque atrocement..Parce que j’ai eu envie de l’entendre, de les entendre tous les trois.  La dernière fois c’était "Third" justement... un 28 Avril 2008 et je me suis payée le luxe d’un trip (hop) nostalgique…Embarquement..pour le grand huit, pardon "Third"...
C'est un conte incroyable . Celui dont on ne se remet réellement jamais. Le coup de foudre. Une puissante ivresse qui, sans crier gare,vous serre la gorge et vous tourne la tête et vous colle un sourire infini sur le visage... Un accroche-cœur éternel. C'est comme une expédition himalayenne sans oxygène.. Et du haut de la montagne (façon de causer), j'ai vu la lumière, "Third", un disque renversant , dont je n'attendais pas grand-chose, j'adôôre "Dummy" mais je n'ai jamais été une fondue hardcore du gang...Et puis ce fameux soir d’Avril il y eut "Third", mes doigts frétillants sur le livret, mes yeux révulsés de plaisir, mes oreilles extatiques…Un voyage en  eaux troubles...

Avant goût vidéo avec "The Rip" live on Jools Holland



A des années lumières d'une quelconque hype pourtant pesante et autres ronds de jambes, l'album est tout sauf une redite moisie du fameux son de Bristol. Portishead opère  un virage radical..On se demande même si c'est le même gang. Au diable le trip hop, moins de samples, moins de basse, moins de groove, pas de single franchement évident , mais quel trip bouleversant !  C'est un trip organique, une petite bulle musicale fichtrement oppressante, glaciale, sombre, inquiétante voire glauque, barrée où s'entrechoquent diverses ambiances claustro, envoûtantes et hypnotiques  d'une noirceur affolante, (genre le "Pornography" des Cure pour vous donner une idée ou un "Sparklehorse"  époque "Vivadixiesubmarinetransmissionplot", prozac, corde, flingue et autre accessoire du désespoir inclus..) et le palpitant est mis à rude épreuve, les instrumentations sont violentes et aiguisées… charcutées par une  rythmique en une transe minimale, tribale presque. Beauté crépusculaire, spleen et mal être à tous les étages, ce disque est MAGNIFIQUE !

Sur des textes ciselés souvent touchés par la grâce , welcome home les trips électro-indus que n'aurait pas renié Trent Reznor,  hello des cowbells empruntées au hip-hop…. Coucou les passages carrément folk avec les grattes acoustiques magnifiques de Geoff Barrow qui s'est surpassé ici ...Holà violoncelles assommant de beauté, hey approche ô toi merveilleuse batterie intensément éléctro dont le pouls donne le tournis ou encore  arrangements culottés et écoeurants d'inventivité (ces synthés d'Adrian Utley aah !). Somptueux écrin mélodique pour sublimer  la voix unique, fragile et plus cristalline que jamais de la frêle Beth Gibbons absolument éblouissante sur ce disque et enfin débarrassée de ses addictions opiacées .C'est plus épuré presque que par le passé mais ce minimalisme est d'une puissance émotionnelle ahurissante .. La production est terrifiante de classe (on sent qu'ils ont dû sniffouiller chaque son !)

Les Portishead étaient de retour après 10 ans d'absence et cet opus fera date. 
Suivez-moi dans la tracklist:

Silence Lyrics: Plongée dans la boîte de Pandore… En Silence d’abord pour ouvrir les ébats soniques.. discours en portugais, je ne sais trop avant qu’une rythmique synthétique électro-élastique, des cowbells, des violons hantent cette longue plage instrumentale un peu comme une bande son d'un trip spatial flippant qui me font songer à du krautrock à la Can … La voix fragile de Beth apparaît enfin à plus de 2 minutes en mode désespéré suivie par une gratte qui lâche quelques notes bégayantes dans une ambiance spectrale Did you know I lost ? Do you know what I wanted ? interroge la belle. La chevauchée sonique repart toujours sur un beat synthétique très 80's avec un gros synthé et des cordes qui s'étranglent en fond et on laisse parler le magma instrumental qui mime des chevaux galopant vers une mort certaine.. Le ton est donné, tristesse, anxiété, spleen et noirceur tenaces…

Hunter: Chasseur d'émotions, piège à larmes. Des carillons nous happent illico, quelques notes distillées à la gratte acoustique, une batterie sourde et une rythmique ralentie chargée en émotions et en effets..… La voix de Beth , bouleversante s'envole presque étouffée comme voilée…Apparaissent des bruits, un moteur qui crachotte , un semblant de clarté  un piano, des gongs qui surgissent, Beth dérape et son timbre sonne comme sur un vieux vinyle, le rythme lui aussi déraille comme si le diamant avait rendu l'âme, puis la gratte est effleurée pour laisser échapper quelques accords d'une tristesse désarmante, Beth reprend sa complainte… Et le climax arrive à 3'20 avec une batterie qui s'emballe puis laisse percer la lumière à savoir une partie acoustique de toute beauté qui confine à la sensualité absolue et  qui me laisse sur le carreau..,La guitare  se fait mandoline presque , la batterie s'étiole et se fait jazzy éclipsant toute résistance et c'est déjà la fin de ce fabuleux morceau…..
 And if I should fall would you hold me ?

Nylon Smile : les mots sont superflus ou presque. La musique est addictive, sublime. Les paroles sont merveilleuses. Mon oreille est amoureuse- Rythmique somptueuse et vaporeuse, batterie et percus tribales, avec une gratte magnifique dont les sonorités discrètes s'emmêlent  sur un tapis électro et  légèrement oriental...La voix de Beth est déchirante de beauté et la diction de la miss est splendide… Je ne sais plus comment je m'appelle ni où je suis à la fin du morceau mais je sais dans quel état je me trouve :  proche de l'Ohio..à deux doigts du chaos ..Un classique instantané.
I'd like to laugh at what you said, but I just can't find a smile..

The Rip: Et puis vient la Petite pépite folk électro extraordinaire. Des cornes de brume, une gratte sublimissime qui tricote le rêve et cultive le jardin mélancolique, Beth s'impose diaphane, divine dans cet océan de grâce …Ambiance fantomatique et désabusée au milieu de laquelle surgissent  une flûte et des synthés … Puis vient la rupture brutale qui voit l'accélération du tempo grandiose, magnifique, wowhou qui entraîne le morceau dans des dérives électro et Beth n'a peut-être jamais aussi sonné comme la Polly Jean demoiselle native du Dorset ahh ce petit clavier sautillant et chatoyant sur la fin ambiance 80's c'est irrésistible, entêtant c'est pop presque, la chrysalide s'est fait papillon sonique.. Frissons absolus
White horses, they will take me away/ And the tenderness I feel will send the dark underneath

Deep Water: Plongée en eaux troubles... Titre curieux qui démarre de façon très surprenante avec un... ukulélé ( !!!) façon trip au coin du feu et Beth qui chantonne sur cette petite récréation constellée de chœurs volontairement surenregistrés pour contraster.. Petite comptine presque gentillette ou anecdotique c'est selon ! Mais joli pied de nez !
 As she walks in the room centered and tall

Plastic: Nouveau monde qui me fait terriblement penser à Radiohead (l'ambiance et les grattes critallines). I wonder why I don't know what you  see- le monde s'écroule sous les orgues menaçants et la terre s'ouvre sous nos pieds sur ce morceau désarçonnant…La rythmique prend des chemins de traverse , devient plus audible,  plus brutale  que sur les titres précédents, ce qui accentue le malaise …Dans le même temps, le timbre de Miss Gibbons est plus puissant..Voilà un morceau larvé de breaks, la batterie fait merveille, la guitare tournoie et danse sur quelques notes escortée de bruitages singuliers et dérangeants. Le timbre de Beth s'étrangle de spleen et nous arrache les tripes Don't you know life turns me on…Life  always wants me...Et les synthés qui s'enrhument et crachent de la réverb Allô ? Personne ne répond…

Le voyage prend une tournure étrange et brutale sur les deux titres suivants.
We Carry On: morceau complètement barré et schizo  taillé pour les dance floors .ça démarre de façon groovy avec une rythmique  à la Bjork (Declare Your Independance presque ou une cochonnerie sur Post) puis avalanche de bruit indus, beats technos, claviers mutants et grattes désarticulées...Taste of life I can't describe. Yep il est difficile de mettre des mots sur cette mélopée faussement simplette et  à hurler de beauté ! On, jurerait entendre une version azimutée, un plaisir jusque là inconnu de Joy Division ..
On and on I carry On

Machine Gun: L’artillerie se fait plus lourde encore avec ce premier single dévastateur… Etrange et incroyable voyage qui convie dans un même élan Aphex Twin, Bjork, Nin oui rien que cela ! Des samples sourds, étouffés métalliques  et une rythmique indus sur laquelle se pose l'organe de Beth lequel se fait ange du désespoir ange noir, reflet d'une angoisse éternelle, ..puis la rythmique devient plus syncopée plus robotique presque et va s'abîmer  dans délires bruitistes  techno hypnotiques shootés aux amphétamines  qui auraient pu naître dans le cerveau et schizophrène azimuté d'Aphex Twin. On dirait une marche funèbre à peine éclairée par des boucles, des loops de sythnés  magnifiques sur le point de clamser, elles aussi, Morceau fascinant, dansant, dérangeant qui fout mal à l'aise autant qu'il m'exalte !
If only I could see, I'll turn myself to me and recognise the poison in my heart.

Après ce déluge de fureur et de violence, la rupture se dessine petite et immense à la fois… 
Small:  L'intro est somptueuse Beth décoche une première phrase don't on ne se remettra pas. If I remember the night that we met/ Tasted a wine that I'll never forget
Voix poignantissime sur une mélopée lancinante et sublime faite de quelques notes de grattes qui tricotent le spleen , un trip noir qu'accentuent ces violoncelles troublants, dérangants..Ce titre m'a arraché des larmes à la première écoute avant que le cheval ne se cabre, et que la mélopée se fasse presque seventies, voire psychédélique un trip à la Doors voire au Floyd de la bande son du « Zabrinskie Point » d'Antonioni (c'est le passage délirant avec corps à poil et orgies dans le désert pendant un quart d'heure)...Orgues déstructurés , tempo macabre et répétitif, réverb' exacerbée, petits bruits barrés abscons, flippants trip insensé, pied absolu pour l'auditeur, l'orgue se déploie et nous emporte dans son sillage infernal, la basse fait parler la poudre, l'orgue se fait reptilien, malsain.. Les violoncelles réapparaissent pour sonner le  glas de cette merveille Beth en rajoute une couche et nous achève en beauté  nous laissant extatiques et muets de bonheur fracassés par ces sons qui se mélangent et s'étranglent dans une capharnaüm avant de reprendre leur funeste destinée doorsienne et de s'éteindre dans une magma dissonnant (cette batterie  !) WOW !

Magic Doors : On pousse les Portes vers la félicité sonique encore sur ! Intro fabuleuse , la mélopée larvée de breaks dévastateurs, une boîte  à rythmes, des cowbells, une batterie à contre-pied, une rythmique faussement nonchalante un beat funky ralenti à l'extrême et pourtant irrésistible avec le chorus magnifié par un piano tragique et renversant. Puis ça vire trip électro  escorté de trompettes suffocantes et exquises : un carnage
I'm losing myself, my desire I can't hide

Threads : Ultime affolement de la boussole pour voir le palpitant s'exciter et frôler l’arrêt définitif. Empli de  douce mélancolie et de désespoir alangui. J'aime cette  gratte presque western. La mélopée est chaloupée, les cordes sont déchirantes, la  batterie étouffée est omniprésente. J'aime d'amour cette gratte presque espagnole, ces trompettes vicieuses qui nous font un mal de chien au corps et au cœur et cette voix mon dieu , cette voix qui hurle au milieu d'un tempo jazzy  qui se déglingue et ces cornes de brumes, ces synthés qui  nous engloutissent jusqu'au point de non retour avec cette gratte qui nous hante ! On n'a qu'une envie s'y plonger encore !
I'm always tired of my mind
I'm always so unsure…

La messe est dite et elle est noire, implacable, inconfortable mais passionnante. On entendrait d'ici  les battements d'un cœur exalté qui virevolte à l'écoute de ce bijou. C'est le mien,  c’est celui de bien d’autres fondus aussi, j'espère que ce sera le vôtre bientôt ! On n'écoute pas ce disque. On y plonge en apnée et on en ressort moite de bonheur, subjugué   jusqu’à la moelle
Co_SwEuphoria

En bonus  de ce formidable billet invité, l'hôte vous offre son morceau préféré de Third: Hunter, ici à Paris en concert privé:



8 commentaires:

  1. Sacré groupe, sacré album, sacré post (et chanteuse sacrée)

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  2. Je ne ressorts de tout ça que l'incroyable Machine Gun, vraie tentative de faire autre chose. La voix est magnifique, car magnifiée en creux par le brutal de la rythmique indu - on pourrait dire qu'elle a finalement la partie facile. Mais le disque manque de faiblesse, il se perd dans une perfection froide, un coassement d'esthète aurait dit certains... Il s'écoute, dès la première fois, c'est le transport, violent, inattendu, comme à l'approche d'une terre inconnue, mais si longtemps désirée : un album que j'aime et que l'on aime, ni tout à fait le même ... Et puis, on tique. Ici ou là des indices laissés alertent et l'indulgence passant, on voit les piliers derrière les tentures tendues.
    Le trio le crie un peu trop fort : aimez moi. Et nos papilles saturées sont à peine revitalisées par ce final en forme d'hommage à O Superman (enfin pour moi). Mais là encore, l'arnaque est de la partie, avec une paresse coupable.

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  3. @ZaraA: sacré Emmanuel, tu as tellement horreur du consensus que tu trouves le moyen de descendre en flammes un pur moment de grâce et de génie. Et tu pourrais quand même saluer galamment la plume folle et extatique de la dame. Moi je m'incline bien bas devant cette gonzo-review de Portishead.

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  4. Pardon ... Je parlais de l'album. Que je ne descends pas en flamme. Il s'agit de mon expérience sur la durée. Et je salue l'auteure.

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  5. Je n’ai jamais été dingue de Portishead, ni de ce disque plus que d’un autre, mais qu’est-ce que j’aime lire ce genre de textes ! Vais le réécouter, tiens.
    PS : quand est-ce que tu ouvres ton blog ma’ame Corinne ?

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  6. "La messe est dite et elle est noire, implacable, inconfortable mais passionnante."

    Parfaitement résumé. Clap, clap, clap Corinne :)

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  7. Excellente chronique pour un disque indispensable. Les fans du groupe déçus par cet album sont démasqués : quand on aime vraiment le trip hop, on attend qu'une chose de ses groupes favoris : qu'ils prennent des risques en terrain inconnu, quitte à se vautrer (Tricky) ou au contraire, de briller (Portishead, Massive Attack).

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  8. Parce que la Mélody la plus sulfureuse et enivrante excite mes oreilles... parce que chaque note de Portishead éveille un sens... Parce que leurs musiques donnent des ailes à mon âme... Parce que de les avoir vus et entendus fut l'un des plus beau jour de ma vie... je viens, donc de m'acheter 2 places pour le concert dans les arènes de Nîmes le 19 juillet 2010! Retrouvons-nous là-bas et profitons d'eux... THIRD

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