Encore un billet invité, me direz-vous. Depuis que je suis à Libé, c'est vrai, j'ai perdu un peu de ma stricte discipline de blogueur de combat ;). Un gros billet par semaine depuis le lancement de ce blog en 2009...pour l'heure je n'y arrive plus. Ca reviendra. Mais j'ai surtout eu un vrai coup de coeur pour cette histoire d'indiens digitaux que m'a raconté mon camarade Nicolas Rauline, blogueur (www.barrio-latino.info) et journaliste (aux Echos) lui aussi. Ou comment les peuples d'Amazonie venus du fond des âges ont appris à se servir des armes numériques pour mener une guérilla identitaire pacifique et tenter sauver leurs cultures en voie de disparition. Les Zapatistes du sous-commandant Marcos avaient montré la voie, en alliant fusils et propagande planétaire médiatisée. Les Indios Pataxo Hahahae du Brésil ont pris eux la souris pour défendre leur cause. Si seulement Geronimo avait eu Internet ! JCF
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Geronimo et ses guerriers Apaches en 1886 (Smithsonian National Archive) |
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Un indien digital d'Amazonie |
que cette rencontre fortuite aura sur ces hommes et ces femmes. Durant des siècles, la technologie a contribué à la destructuration de ces sociétés. Mais la donne est peut-être en train de changer. Cette semaine, le festival Brésil en mouvements*, organisé à Paris, a consacré l’une de ses soirées au thème Indiens et médias. Le court-métrage Indigenas digitais , diffusé à cette occasion, montre comment plusieurs peuples utilisent désormais les nouvelles technologies, à la fois comme un outil de préservation de leur patrimoine et comme un instrument pour leurs luttes. Voir une cacique exhorter ses troupes au cyberactivisme ou un Indien Pataxo Hahahae, les traits du visage soulignés à la peinture rouge et noire appeler à la diffusion de sa culture une souris à la main, voilà qui a de quoi remettre en cause beaucoup de préjugés. “L’ordinateur joue aujourd’hui le même rôle que l’arc auparavant, explique l’un de ces Pataxo Hahahae. Avant, notre survie dépendait de l’arc. On s’en servait pour chasser, se défendre, protéger nos familles. Aujourd’hui, on part à la chasse avec notre ordinateur. On cherche les ONG, on alerte les autorités...”
IL ETAIT UNE FOIS ZAPATA
A l’origine de la prise de conscience, le mouvement mexicain zapatiste. Dès 1995, au Chiapas (province du Sud du Mexique, la plus pauvre du pays, à la frontière avec le Guatemala), des insurgés prennent le contrôle de plusieurs villages, faisant référence à l’une des figures majeures de la révolution mexicaine, Emiliano Zapata. A leur tête, le sous-commandant Marcos, qui déploie une stratégie de communication bien huilée et impose son fameux "avatar" passe-montagne. Un mythe se construit. Quelques insurgés, mais surtout des universitaires proches du mouvement - Marcos est lui-même un ancien professeur d’université -, se chargent de relayer le message de la guerilla. Parfois, ce sont même des sympathisants, sans lien avec l’organisation, qui créent des pages de présentation de la cause sur Internet... Le message arrivera d’ailleurs souvent un peu déformé, les relais des pays occidentaux ayant tendance à politiser et à radicaliser un discours qui ne l’était pas forcément à l’origine. C’est aussi l’époque où certaines figures politiques européennes, comme Danielle Mitterrand, partent au Chiapas se faire photographier aux côtés Marcos. ![]() |
Le sous-commandant Marcos |
Aujourd’hui, Internet permet à de nombreuses communautés, à travers tout le continent, de “sauvegarder” leur culture et de la diffuser. Un exemple en est donné avec les Xavante, un peuple brésilien, dans un autre court-métrage diffusé lors du festival Brésil en mouvements. Certains d’entre eux ont voulu enregistrer une fête traditionnelle, autrefois pratiquée par plusieurs dizaines de tribus et peu à peu tombée en désuétude. Le film, sorte de Lost in La Mancha version amazonienne à cause de catastrophes à répétition, aura au moins permis à certains, de par le monde, de se familiariser avec certains de leurs rites. D’autres, dans la même région, ont filmé les agressions des grands exploitants qui harcèlent les communautés pour les chasser de leurs terres. Si le téléphone portable et le camescope peuvent alors paraître des armes dérisoires, une vidéo de la scène postée sur Youtube permet parfois d’alerter la communauté internationale. C’est aussi le cas des Surui, toujours au Brésil, qui prennent des photos géolocalisées de chaque abattage d’arbre illégal, et les postent sur Google Earth, mettant les autorités devant leurs responsabilités.
INDIOS ONLINE
On pourra objecter que la médiatisation n’est pas nouvelle et qu’elle n’a pas empêché l’extinction de certains peuples. Le risque n’est-il pas alors de recréer un musée virtuel, un cimetière numérique des civilisations condamnées? Là encore, la situation est peut-être aujourd’hui un peu nouvelle. Car ces peuples ne sont plus seuls. Le réseau Indios Online, par exemple, permet aux membres de différentes communautés d’échanger, de partager leurs expériences et de choisir d’adapter ou non leurs coutumes : ces traditions sont loin d’être figées.
Si l’on prend du recul au niveau continental, une quinzaine d’années après l’émergence de tels mouvements, le bilan est contrasté. L’accession d’Evo Morales à la présidence de la Bolivie et la série de mesures qu’il a prises à la tête de ce pays pour reconnaître les droits des Indiens - majoritaires dans ce pays - reste sans doute l’événement le plus fort. Plusieurs pays dont le Mexique ou l’Equateur se sont dotés d’un vernis constitutionnel reconnaissant les cultures indiennes, officialisant les langues et les dialectes. Sauf que, faute de moyens et de volonté, cette reconnaissance reste le plus souvent symbolique. Et la tentative de résurgence de l’armée zapatiste au Mexique, avec une marche sur Mexico, n’a pas eu le même écho que la première rébellion.
Surtout, cette reconnaissance pèse peu face à la force des intérêts économiques. Des exemples récents en témoignent. Le Pérou est longtemps resté insensible au sort des tribus isolées, qui fuyaient les forestiers, illégaux mais qui rapportaient des devises au pays. Le Brésil vient d’approuver un gigantesque projet de barrage qui met en péril l’équilibre de plusieurs peuples. Et même l’Indien Evo Morales a dû être rappelé à l’ordre par des associations car la construction d’une route menaçait le territoire de plusieurs tribus. Mais l’usage des nouvelles technologies et la médiatisation n’est pas accepté par tous les indigènes. Certains ont choisi de devenir invisibles au monde moderne. C’est le cas des Tarahumaras, dans le Nord du Mexique, qui ont choisi un mode de vie quasi-autarcique, se repliant à l’écart du progrès et fuyant les contacts avec la “civilisation”.
NICOLAS RAULINE
* Brésil en mouvements, du 14 au 19 juin
Espace Confluences, 190 boulevard de Charonne 75020 Paris
http://www.autresbresils.net/spip.php?article2070
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