(Photo tirée du "2001 l'Odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick)
"Ton vaisseau-mère Gutenberg a fait naufrage ou divague déboussolé en attendant le coup de grâce final du grand orage digital ? Viens à moi pauvre petit journaliste perdu dans l'immensité du cyberspace comme un astronaute bientôt à court d'oxygène..."
C'est ce que j'ai cru entendre ce week-end, lorsqu'au hasard de mes divagations sur le Web, je suis tombé sur plusieurs indices informationnels laissant à penser que les Titans de l'ère numérique seront bientôt les seuls employeurs à bien vouloir recruter et payer des journalistes pour pisser de la copie sur tous les écrans de notre vie. Mon rédac chef s'appelle Yahoo! ou AOL...ce n'est plus de la Science-Fiction. C'est déjà demain !
Comme un vent de déroute
Vous n'y croyez pas ? Observez l'enchaînement implacable des évènements. Aux Etats-Unis, une douzaine de quotidiens ont stoppé leurs rotatives entre 2008 et 2009. Parmis eux des titres plus que centenaires comme le "Rocky Mountain View" de Denver Colorado, le "Kentucky Post" du puissant groupe Gannett, ou encore le "Baltimore Examiner" dont l'histoire remontait pratiquement à la guerre d'indépendance... Les Prix Pulitzer accrochés aux murs des salles de rédaction comme autant d'ex-voto n'y ont rien fait. Rideau, terminé. La liste de ce cimetière des éléphants de la presse US est ici sur Newspaper Death Watch. Et la grande faucheuse de l'imprimé arrive maintenant chez nous. On n'est pas encore à fermer boutique, mais il y a comme un vent de panique et de déroute aujourd'hui dans la "grande" presse parisienne.
Tout prestigieux soit-il, "Le Monde" s'apprête à se vendre pour à peine 60 à 80 millions d'euros à l'étrange attelage constitué par le "mécène" Pierre Bergé, le banquier "rock'n roll" Mathieu Pigasse et le fondateur de Free "il à tout compris" Xavier Niel. A moins que ce ne soit à Claude "SFA" Perdriel, le patron du "Nouvel Obs"...allié au géant des télécoms Orange qui était pourtant censé sortir du secteur des contenus (c'est la dernière celle là !). "La Tribune" vient elle d'être cédée pour 1 euro symbolique par Alain Weill. Et on vient d'apprendre l'abandon en rase campagne du "Parisien" par Marie-Odile Amaury. La dame de fer de la presse hexagonale solde l'héritage dynastique de son défunt mari en mettant au clou le quotidien populaire pour tout miser sur "L'Equipe" et le juteux business des paris sportifs. Le message adressé à la profession est le suivant : "la presse quotidienne c'est terminé, le papier on n'y croit plus"...
Bref, ici comme aux Etats-Unis, on achève bien d'imprimer.
Yahoo! en pince pour les blogs du HuffPo
De l'autre côté de l'Atlantique, le message a été reçu 5 sur 5 par certains poids lourd du Net. Lassé de courir après la comète Google, les Yahoo! et autres AOL sont actuellement en plein trip Citizen Kane. Leur objectif ? Combler le vide que le géant de la recherche Internet à contribuer à créer. Voyez ce papier de TechCrunch, le site d'info biztech du toujours bien informé Michael Arrington. Le truc dit en substance que Yahoo! veut croquer tout rond le gentil Huffington Post dont je vous parlais dans mon précédent billet. Pour moi le HuffPo était censé montrer la voie à la vieille presse : marier le meilleur des blogs à de l'info sérieuse (avec un zeste de people et de sexe) pour proposer le tout gratuitement aux internautes avides de scoops et d'humeur...on avait enfin trouvé la recette miracle pour exploser les chiffres d'audience et obliger ces radins d'annonceurs à sortir enfin leur chéquier ! De fait ce site fondé il y a tout juste cinq ans cartonne aujourd'hui au point de talonner la version online du prestigieux "New-York Times" avec 13 millions de visiteurs uniques aux US et 22 millions au niveau mondial. Sa trajectoire semblait toute tracée : l'enthousiaste Henry Blodget de Business Insider voyant même le Huffington Post rivaliser un jour en toute indépendance avec CNN !
Et Patatra voilà que TechCrunch assure que Yahoo ! et Ariana Huffington la taulière du HuffPo en sont à parler gros sous : le site d'info le plus "trendy" du moment serait valorisé entre 125...et 360 millions de dollars sur la base de son chiffre d'affaires qui double tous les ans (30 millions cette année, 60 millions prévus pour l'an prochain).
Agrégateur plus que producteur
Yahoo! a une longue expérience en matière d'agrégation de contenus: le portail a toujours proposé à ses visiteurs de l'info (actualités générales, sports, entertainment...) grâce à des partenariats avec des agences de presse et des journaux. Et il n'en est pas à son coup d'essai en matière d'incursion journalistique : en 2003, Yahoo ! avait même envoyé quelques reporters "embedded" couvrir l'invasion de l'Irak, la chute de Saddam et la traque aux armes de destruction massive qui n'existaient pas. Mais à l'époque la chute des icônes high-tech à Wall Street avait mis fin à l'expérience. Aujourd'hui, le groupe californien songe à constituer autour de lui un petit empire de médias susceptible de lui fournir de l'info prête à consommer. Mais il semble miser plus sur le journalisme participatif que sur les professionnels de la profession : Yahoo! a racheté pour 100 millions de dollars Associated Content, un agrégateur de news syndiquant des milliers contributeurs non professionnels qui écrivent des articles, prennent des photos, proposent des contenus vidéos... Selon TechCrunch, le groupe de Carol Bartz est bel et bien décidé à satisfaire lui-même ses énormes besoins en contenus. Reste à savoir si Yahoo! France suivra demain sa maison-mère dans cette stratégie mediatique. Pour l'heure, cela ne semble pas à l'ordre du jour.
AOL construit son usine à produire de l'info
Yahoo! n'est pas la seule firme Internet à vouloir devenir auto-suffisante en infos. Fraîchement divorcé du géant américain des médias Time Warner, le concurrent AOL a carrément entrepris d'embaucher une armée de journalistes dans le cadre de son programme Seed : 500 rédacteurs salariés travaillent d'ores et déjà pour la compagnie dirigée par Tim Amstrong (photo à gauche, regardez comme il est content). AOL employerait par ailleurs près de 3500 journalistes à la pige. Pas besoin d'aller chercher loin pour recruter : aux Etats-Unis, 10.000 journalistes se sont retrouvés au chômage entre 2007 et 2009... AOL alignerait donc au total 4000 plumitifs, soit le nombre de salariés actuellement employés par le "New-York Times" et le "Herald tribune" réunis. Tout ce joli monde écrit de la news à la chaine pour alimenter les 80 sites thématiques (actualité, finance, automobile, loisirs, famille, culture etc...) agrégés par AOL pour 30 à 300 dollars le feuillet en fonction du statut (petite main ou grande signature). Avec un seul mot d'ordre : "satisfaire la curiosité des internautes". Mais AOL France, qui a licencié la plupart de ses salariés et ressemble de plus en plus à un agrégateur fantôme, n'a aucun projet en ce sens chez nous.
Tim Amstrong définit Seed comme une "content powerhouse", autrement dit une "usine à contenus". Ca a le mérite d'être clair. Et la firme internet basée à Dulles près de Washington fait elle aussi son marché. AOL a récemment racheté le site de news "hyperlocales" Patch pour 50 millions de dollars. L'info de proximité et les petites annonces qui vont avec sont furieusement tendance ces temps-ci. Et puis aussi StudioNow qui produit des contenus vidéo...
Google engrange : pourquoi s'emmerder avec des journalistes ?
En revanche, Google, qui a plutôt mauvaise presse en ce moment dans la profession, n'envisage toujours pas, à ce jour, de devenir un producteur de news. Un cadre dirigeant de la filiale française me l'a encore redit l'autre jour. "Pourquoi s'emmerder avec des journalistes fort en gueule ou geignards quand on se fait des "golden balls" sans bouger le petit doigt ?". Bon c'est sûr c'était plutôt formulé comme ça : "Notre mission, c'est d'organiser le monde de l'information pour les internautes et non de produire de l'information". Mais l'idée était là. Au tournant des années 2000, la plupart des journaux ont naïvement abandonné leurs contenus à Google News en pensant bâtir un business-modèle internet viable à partir de l'audience que leur apportait le "gentil" géant de l'internet. On connaît la suite de l'histoire : l'idée que l'info était gratuite sur le web s'est installée dans l'esprit des internautes et la presse n'a jamais vu la couleur du grisbi qu'elle attendait de la publicité en ligne. La pub ? Elle a fait la fortune de Google qui a engrangé l'an dernier près de 25 milliards de dollars de chiffre d'affaires : le géant de Mountain View truste aujourd'hui 90 % du marché des liens sponsorisés, quand les bannières des sites de journaux sont achetées par les annonceurs à un coût pour mille d'usurier.
Et Rupert Murdoch a beau traiter Google de "vampire" et menacer de lui interdire de référencer ses journaux (entre autres le "Wall Street Journal" et le "Times" de Londres) pour aller dealer avec Microsoft et son moteur Bing...il ne l'a toujours pas fait six mois après ses déclarations va-t-en guerre. Alors pourquoi changer une formule gagnante : je pompe ton info gratos, je fais mon beurre dessus tout en faisant mine de t'offrir des "solutions" pour monétiser tes contenus. Début avril, le boss de Google Eric Schmidt se disait encore "confiant" sur la manière dont les journaux allaient "se sauver par eux-mêmes" en utilisant les fantastiques possibilités du web. Sacré farceur ! Il faut voir comment la culture internet a du mal à pénétrer les vieilles rédactions papier et le peu d'enthousiasme des lecteurs à payer pour lire des articles auxquels ils avaient jusque-là accès gratuitement...Et ce n'est pas l'iPad d'Apple qui devrait changer la donne d'un coup de sainte tablette magique.
Gaffe la source des news fraîches se tarit
Mais contrairement à Google, d'autres grands dévoreurs de "contenus" gratuits comme Yahoo!, AOL et quelques autres (Microsoft bientôt ? Après tout le géant du logiciel a bien lancé Slate.com dans les années 90 avant de le revendre en 2004) ont bien compris qu'à force de saper l'économie sub-claquante des journaux de l'ère Gutenberg, ils risquaient bien de tarir la source où ils viennent siphonner de la "news" fraîche ! Car au train où vont les choses, il n'y aura bientôt (dans 3 ans ? 5 ans ?) plus de grands quotidiens ni de bons journalistes en état de produire de l'actualité "à l'ancienne". Or le consommateur, tout comme la nature, a horreur des rayonnages vides, surtout dans l'univers informationnel en perpétuelle expansion du cyberspace...
Les géants de l'internet se mettant à produire de l'info pour leur propre compte, on en parlait déjà il y a dix ans. Mais quand la bulle a éclaté, la plupart des stars du Web ont enterré l'idée de faire du journalisme maison au fond d'un serveur et on n'en a plus parlé. Aujourd'hui elle revient en force vu l'état de décomposition avancé dans lequel se retrouve la vieille presse. Histoire centenaire ou non, des centaines de journaux à travers le monde ont du stopper leurs antiques rotatives ces deux ou trois dernières années, envoyant pointer au chômage des milliers de journalistes...ceux là même qui rêvent aujourd'hui de se faire embaucher par Yahoo! ou AOL !
Pour eux tout n'est pas perdu si la réponse est négative. Car voilà que nos amis communicants se mettent eux aussi en tête d' "embedder" des journalistes. Prenez ce récent papier de "The Independent" qui révélait la récente embauche de l'ancien patron de BBC News Richard Sambrook par le cabinet de relations publiques américain Edelman...Le titre de la nouvelle recrue est très parlant : "Chief content officer". Sa mission : produire des messages Canada Dry qui puissent passer aux yeux du public pour de la bonne information millésimée ! "Le nouveau mantra c'est que chaque entreprise doit devenir un media de son propre chef, raconter ses propres histoires non plus à travers de simples sites intenret, mais via des contenus vidéos, du divertissement, sur l'iPad et les téléphones mobiles", expliquait récemment ce cher Mister Sambrook avec l'enthousiasme des nouveaux convertis ! C'est ce qui s'appelle passer du côté obscur de la force... Et vous chers confrères, seriez-vous prêts à vous servir de ce que vous avez appris dans la grande presse, à renier tout ce à quoi vous avez cru pendant des années (Tintin, Albert Londres, Hunter Thompson...), à enterrer vos rêves de gosse en treillis de grand reporter pour aller vous vendre à la première agence de pub venue ?
Conseil d'ami aux confrères
Well, et bien à choisir, si je pointais au chômage (évitons, il fait vraiment froid dehors même si c'est bientôt l'été), je préférerais peut-être aller bosser pour Yahoo ! et AOL...Après tout les journaux sont déjà devenus "des entreprises comme les autres" (argh c'est un fait). Alors quitte à bosser pour une entreprise, autant choisir un secteur d'avenir : l'internet of course. C'est là qu'on recrutera demain ceux qui ne savent rien faire d'autre que raconter l'histoire au jour le jour. Et tant pis si l'on y perd au passage ses sept semaines de vacances, ses RTT, sa carte de presse, la réduction d'impôts et l'entrée libre dans les musées qui vont avec...Quand à se faire des "golden balls", il ne faut pas trop en demander quand même. La bulle internet c'était il y a dix ans déjà. Les salaires de misère actuellement pratiqués dans les rédactions Web sembleront donc tout à fait indiqués à vos futurs employeurs. Alors conseil d'ami : si vous êtes journaliste en poste dans un "vrai" journal comme "Le Monde", "Le Parisien" ou "Les Echos", estimez vous heureux d'avoir encore un boulot par les temps qui courent. Et surtout essayez de le garder le plus longtemps possible avant de devoir aller toquer à la porte de nos amis Yahoo ! et AOL. Sans parler de celle des communiquants...
Jean-Christophe Féraud
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Et Patatra voilà que TechCrunch assure que Yahoo ! et Ariana Huffington la taulière du HuffPo en sont à parler gros sous : le site d'info le plus "trendy" du moment serait valorisé entre 125...et 360 millions de dollars sur la base de son chiffre d'affaires qui double tous les ans (30 millions cette année, 60 millions prévus pour l'an prochain).
Agrégateur plus que producteur
Yahoo! a une longue expérience en matière d'agrégation de contenus: le portail a toujours proposé à ses visiteurs de l'info (actualités générales, sports, entertainment...) grâce à des partenariats avec des agences de presse et des journaux. Et il n'en est pas à son coup d'essai en matière d'incursion journalistique : en 2003, Yahoo ! avait même envoyé quelques reporters "embedded" couvrir l'invasion de l'Irak, la chute de Saddam et la traque aux armes de destruction massive qui n'existaient pas. Mais à l'époque la chute des icônes high-tech à Wall Street avait mis fin à l'expérience. Aujourd'hui, le groupe californien songe à constituer autour de lui un petit empire de médias susceptible de lui fournir de l'info prête à consommer. Mais il semble miser plus sur le journalisme participatif que sur les professionnels de la profession : Yahoo! a racheté pour 100 millions de dollars Associated Content, un agrégateur de news syndiquant des milliers contributeurs non professionnels qui écrivent des articles, prennent des photos, proposent des contenus vidéos... Selon TechCrunch, le groupe de Carol Bartz est bel et bien décidé à satisfaire lui-même ses énormes besoins en contenus. Reste à savoir si Yahoo! France suivra demain sa maison-mère dans cette stratégie mediatique. Pour l'heure, cela ne semble pas à l'ordre du jour.
AOL construit son usine à produire de l'info
Yahoo! n'est pas la seule firme Internet à vouloir devenir auto-suffisante en infos. Fraîchement divorcé du géant américain des médias Time Warner, le concurrent AOL a carrément entrepris d'embaucher une armée de journalistes dans le cadre de son programme Seed : 500 rédacteurs salariés travaillent d'ores et déjà pour la compagnie dirigée par Tim Amstrong (photo à gauche, regardez comme il est content). AOL employerait par ailleurs près de 3500 journalistes à la pige. Pas besoin d'aller chercher loin pour recruter : aux Etats-Unis, 10.000 journalistes se sont retrouvés au chômage entre 2007 et 2009... AOL alignerait donc au total 4000 plumitifs, soit le nombre de salariés actuellement employés par le "New-York Times" et le "Herald tribune" réunis. Tout ce joli monde écrit de la news à la chaine pour alimenter les 80 sites thématiques (actualité, finance, automobile, loisirs, famille, culture etc...) agrégés par AOL pour 30 à 300 dollars le feuillet en fonction du statut (petite main ou grande signature). Avec un seul mot d'ordre : "satisfaire la curiosité des internautes". Mais AOL France, qui a licencié la plupart de ses salariés et ressemble de plus en plus à un agrégateur fantôme, n'a aucun projet en ce sens chez nous.
Tim Amstrong définit Seed comme une "content powerhouse", autrement dit une "usine à contenus". Ca a le mérite d'être clair. Et la firme internet basée à Dulles près de Washington fait elle aussi son marché. AOL a récemment racheté le site de news "hyperlocales" Patch pour 50 millions de dollars. L'info de proximité et les petites annonces qui vont avec sont furieusement tendance ces temps-ci. Et puis aussi StudioNow qui produit des contenus vidéo...
Google engrange : pourquoi s'emmerder avec des journalistes ?
En revanche, Google, qui a plutôt mauvaise presse en ce moment dans la profession, n'envisage toujours pas, à ce jour, de devenir un producteur de news. Un cadre dirigeant de la filiale française me l'a encore redit l'autre jour. "Pourquoi s'emmerder avec des journalistes fort en gueule ou geignards quand on se fait des "golden balls" sans bouger le petit doigt ?". Bon c'est sûr c'était plutôt formulé comme ça : "Notre mission, c'est d'organiser le monde de l'information pour les internautes et non de produire de l'information". Mais l'idée était là. Au tournant des années 2000, la plupart des journaux ont naïvement abandonné leurs contenus à Google News en pensant bâtir un business-modèle internet viable à partir de l'audience que leur apportait le "gentil" géant de l'internet. On connaît la suite de l'histoire : l'idée que l'info était gratuite sur le web s'est installée dans l'esprit des internautes et la presse n'a jamais vu la couleur du grisbi qu'elle attendait de la publicité en ligne. La pub ? Elle a fait la fortune de Google qui a engrangé l'an dernier près de 25 milliards de dollars de chiffre d'affaires : le géant de Mountain View truste aujourd'hui 90 % du marché des liens sponsorisés, quand les bannières des sites de journaux sont achetées par les annonceurs à un coût pour mille d'usurier.
Et Rupert Murdoch a beau traiter Google de "vampire" et menacer de lui interdire de référencer ses journaux (entre autres le "Wall Street Journal" et le "Times" de Londres) pour aller dealer avec Microsoft et son moteur Bing...il ne l'a toujours pas fait six mois après ses déclarations va-t-en guerre. Alors pourquoi changer une formule gagnante : je pompe ton info gratos, je fais mon beurre dessus tout en faisant mine de t'offrir des "solutions" pour monétiser tes contenus. Début avril, le boss de Google Eric Schmidt se disait encore "confiant" sur la manière dont les journaux allaient "se sauver par eux-mêmes" en utilisant les fantastiques possibilités du web. Sacré farceur ! Il faut voir comment la culture internet a du mal à pénétrer les vieilles rédactions papier et le peu d'enthousiasme des lecteurs à payer pour lire des articles auxquels ils avaient jusque-là accès gratuitement...Et ce n'est pas l'iPad d'Apple qui devrait changer la donne d'un coup de sainte tablette magique.
Gaffe la source des news fraîches se tarit
Mais contrairement à Google, d'autres grands dévoreurs de "contenus" gratuits comme Yahoo!, AOL et quelques autres (Microsoft bientôt ? Après tout le géant du logiciel a bien lancé Slate.com dans les années 90 avant de le revendre en 2004) ont bien compris qu'à force de saper l'économie sub-claquante des journaux de l'ère Gutenberg, ils risquaient bien de tarir la source où ils viennent siphonner de la "news" fraîche ! Car au train où vont les choses, il n'y aura bientôt (dans 3 ans ? 5 ans ?) plus de grands quotidiens ni de bons journalistes en état de produire de l'actualité "à l'ancienne". Or le consommateur, tout comme la nature, a horreur des rayonnages vides, surtout dans l'univers informationnel en perpétuelle expansion du cyberspace...
Les géants de l'internet se mettant à produire de l'info pour leur propre compte, on en parlait déjà il y a dix ans. Mais quand la bulle a éclaté, la plupart des stars du Web ont enterré l'idée de faire du journalisme maison au fond d'un serveur et on n'en a plus parlé. Aujourd'hui elle revient en force vu l'état de décomposition avancé dans lequel se retrouve la vieille presse. Histoire centenaire ou non, des centaines de journaux à travers le monde ont du stopper leurs antiques rotatives ces deux ou trois dernières années, envoyant pointer au chômage des milliers de journalistes...ceux là même qui rêvent aujourd'hui de se faire embaucher par Yahoo! ou AOL !
Pour eux tout n'est pas perdu si la réponse est négative. Car voilà que nos amis communicants se mettent eux aussi en tête d' "embedder" des journalistes. Prenez ce récent papier de "The Independent" qui révélait la récente embauche de l'ancien patron de BBC News Richard Sambrook par le cabinet de relations publiques américain Edelman...Le titre de la nouvelle recrue est très parlant : "Chief content officer". Sa mission : produire des messages Canada Dry qui puissent passer aux yeux du public pour de la bonne information millésimée ! "Le nouveau mantra c'est que chaque entreprise doit devenir un media de son propre chef, raconter ses propres histoires non plus à travers de simples sites intenret, mais via des contenus vidéos, du divertissement, sur l'iPad et les téléphones mobiles", expliquait récemment ce cher Mister Sambrook avec l'enthousiasme des nouveaux convertis ! C'est ce qui s'appelle passer du côté obscur de la force... Et vous chers confrères, seriez-vous prêts à vous servir de ce que vous avez appris dans la grande presse, à renier tout ce à quoi vous avez cru pendant des années (Tintin, Albert Londres, Hunter Thompson...), à enterrer vos rêves de gosse en treillis de grand reporter pour aller vous vendre à la première agence de pub venue ?
Conseil d'ami aux confrères
Well, et bien à choisir, si je pointais au chômage (évitons, il fait vraiment froid dehors même si c'est bientôt l'été), je préférerais peut-être aller bosser pour Yahoo ! et AOL...Après tout les journaux sont déjà devenus "des entreprises comme les autres" (argh c'est un fait). Alors quitte à bosser pour une entreprise, autant choisir un secteur d'avenir : l'internet of course. C'est là qu'on recrutera demain ceux qui ne savent rien faire d'autre que raconter l'histoire au jour le jour. Et tant pis si l'on y perd au passage ses sept semaines de vacances, ses RTT, sa carte de presse, la réduction d'impôts et l'entrée libre dans les musées qui vont avec...Quand à se faire des "golden balls", il ne faut pas trop en demander quand même. La bulle internet c'était il y a dix ans déjà. Les salaires de misère actuellement pratiqués dans les rédactions Web sembleront donc tout à fait indiqués à vos futurs employeurs. Alors conseil d'ami : si vous êtes journaliste en poste dans un "vrai" journal comme "Le Monde", "Le Parisien" ou "Les Echos", estimez vous heureux d'avoir encore un boulot par les temps qui courent. Et surtout essayez de le garder le plus longtemps possible avant de devoir aller toquer à la porte de nos amis Yahoo ! et AOL. Sans parler de celle des communiquants...
Jean-Christophe Féraud
Bonjour Jean-Christophe,
RépondreSupprimerTrès bon billet, dont je suis obligé de partager l'analyse...
Vous mettez le doigt sur le pb majeur qui est celui du financement de l'information de demain. Je crois que nous avons déjà plus ou moins la réponse... Elle est la même qu'en télé : c'est le divertissement qui financera l'information de source.
Personne ou presque n'a jamais acheté son journal que pour l'info "citoyenne", c'est l'ensemble des services et notamment de divertissement (mais aussi pratiques) qui justifient l'achat : météo, mots croisés, turf, cartoon...
Le Huffington Post le prouve, c'est grâce au people et au sexy qu'il engrange le gros de son audience. C'est aussi le positionnement du Post ou de Guy Birenbaum qui constatait l'autre jour que ses billets stars avaient des mots clés people ou sexy dans les titres.
En télévision sur le service public, les audiences cartons des jeux financent les productions plus "culturelles".
En revanche, pour les journaux spécialisés en info générale, il y aura certainement de l'écrémage ou une diversification.
Laquelle tient aussi à l'évolution de la société de moins en moins uniforme, de plus en plus complexe (on peut être intello et s'intéresser à la télé réalité par ex) et que traduit l'irruption de l'info-tainment.
PS : AOL France ferme, le portail qui restera est une coquille vide : un simple agrégateur de liens RSS :)
Bonne continuation
Cyrille aka Cyceron
Ce qui est intéressant, c'est que tu alternes dans ce billet entre "contenu" en "information". Ce qui n'est pas la même chose, et s'avère dangereux au final pour l'information et pour le journalisme. Ce que tu dis en filigrane d'ailleurs.
RépondreSupprimerMoi aussi, je suis bien obligé de reconnaître que ce billet horrible est très juste. C'est exactement ce qui se passe et ce que je constate chaque jour davantage. Ah, pourquoi je n'ai pas écouté mes parents et fait HEC ?
RépondreSupprimerCe billet n'est pas juste. Comme les autres billet de ce blog il montre qu'une grande partie des journalistes de la presse nationale sont littéralement perdus.
RépondreSupprimerOn comprend pourquoi les patrons de presse le sont aussi.
@Lulu77 : Pfff... Pour une fois,vous ne pourriez pas poster un commentaire un peu plus constructif ? Ou prenez vous plaisir à devenir le Troll de service en ces lieux ? Je suis toujours prêt à discuter mais sur des bases solides et argumentées.
RépondreSupprimerJe vais essayer mais c'est difficile, vous partez dans tous les sens et vous même n'argumentez pas vraiment.
RépondreSupprimer@Lulu77: Effectivement l'écriture de ce blog est Gonzo Style...qui aime les chemins de traverse de ma pensée embrumée me suive ;-)
RépondreSupprimerC'est marrant, JC, l'info gratuite, quand c'est de la télé ou de la radio, ça te fait rien, quand c'est sur Internet, ça te file des boutons. Et bien sûr c'est la faute au grand méchant Google - qui permet aux sites d'info de garder la tête hors de l'eau, mais puisque Google le fait pour le fric (25 milliards de dollars de CA, vade retro!) et pas par philanthropie, c'est forcément pas bien. Accessoirement, faire de Murdoch un tueur de vampires, c'est carrément désopilant... PS: quand les journalistes se diront-ils enfin que si la "vieille presse" va dans le mur, c'est aussi (surtout?) parce qu'elle ne répond plus depuis longtemps à l'attente de ses lecteurs? Opposer Le Monde à Yahoo pour faire l'apologie de l'indépendance, c'est un peu comme juste au-dessus, désopilant.
RépondreSupprimerÉric,
RépondreSupprimerComment te dire, il y a un certain 2e voire 3e degré dans ce billet.
Je ne pense pas que l'info gratuite c'est sale, mais je constate que l'economie de la gratitude a sapé les fondements de l'économie de la presse faute de monétisation de l'info online a sa juste valeur publicitaire. La faute en partie au gentil Google qui a d'autres qualités par ailleurs. Quand à Murdoch loin de moi l'idée dans faire un héros. Dans le genre Dracula il se pose bien là.
Ce billet est juste un constat désabusé mais nullement défaitiste : la presse quotidienne est devenu un champ de ruines. Les torts sont partagés et nous journalistes devint assumer notre part de responsabilité, je suis d'accord je l'ai déjà écris ici et ailleurs.
Maintenant la question c'est qu'est-ce qu'on fait. Je suis convaincu comme toi qu'il faut plus que jamais innover ; le papier a vécu l'avenir se décline sur tous les écrans numérique. A nous de l'inventer sans corporatisme, ni esprit de chapelle et avec le souci du lecteur évidemment. Nous sommes d'accord non ?
Si. Sauf sur un point: je ne crois (toujours) pas que le papier ait vécu, mais qu'il doit se réinventer et penser sa place dans une offre globale nouvelle.
RépondreSupprimerEst-ce que la presse payante n'est pas gratuite en fin de compte? Si l'on regarde le financement de la presse papier traditionnelle, on distingue deux ressources principales. La publicité et le prix de vente, sans oublier, en France, les subventions d'Etat pour les quotidiens.
RépondreSupprimerLes autres médias privés (Radio, TV, Internet..) ne sont financés que par la publicité. Sachant que les recettes publicitaires couvrent intégralement les frais journalistiques, le prix de vente d'un quotidien couvrent essentiellement le prix du papier, les frais d'imprimerie, les coûts de distribution et les points de vente. En conclusion, on peut dire que le prix de vente du quotidien ou du magazine correspond à un service de mise à disposition, mais que le contenu est financé par le publicité.
Si l'on supprime ces frais de mise à disposition, ce qui est le cas de l'Internet, rien n'empêche de faire le même quotidien ou le même magazine, avec les mêmes personnes, c'est à dire des journalistes qualifiés.
Simplement, les éditeurs ont mis beaucoup de temps à croire à l'Internet. Ils n''ont pas voulu comprendre son fonctionnement, trop sûrs d'eux.Ils n'ont pas voulu de portail de la Presse Française, n'ont pas cru (jusqu'à ce jour) à la presse numérique non plus.
La presse garde un point fort qu'elle pourrait préempter sur Internet. C'est son mode de lecture. Sa couverture, son sommaire, ses pages qu'on tournent, ses RV réguliers, ses pages services. Avec le numérique, elle pourrait révolutionner son offre publicitaire.
Une page de pub peut devenir un spot radio, un film TV, un lien vers le site de l'annonceur, une offre commerciale, un bon de réduction. Cette voie là n'a pas été exploitée à cause d'une certaine arrogance des éditeurs, peu formés au plurimédia. Le numérique est le complément du papier, ce qui devrait se vérifier dans quelques années.
J.C.F
RépondreSupprimer**Je suis convaincu comme toi qu'il faut plus que jamais innover ; le papier a vécu l'avenir se décline sur tous les écrans numérique. A nous de l'inventer sans corporatisme, ni esprit de chapelle et avec le souci du lecteur évidemment. Nous sommes d'accord non ?**
Là vous êtes dans le vague.
Il n'y a pas à innover. Mais à rendre accessible. Vos compétences de journaliste: écriture, synthèse, connaissance intime, recul, ne sont pas accessibles actuellement. Et c'est ce qu'on achète.
Les innovations que peut apporter le web sont connues: ce sont: le volume disponible pour les éditeurs, la recherche multicritère, le volume pour le lecteur, 6 mois d'abonnement sur une SD carte. D'autres spécificités du web existent mais elles sont encore distantes (loin d'être mises en œuvre).
En résumé je dirais les outils sont là accessibles, les compétences aussi, mais tout le monde est tétanisé.
En 2004, déjà, le mal était connu : http://www.robinsloan.com/epic/
RépondreSupprimerDésolé les gars, le débat est terminé. Le Monde va être racheté ou par Free ou par Orange, les petits gars du journal en gothique vont se faire ratiboiser sévère et devront pisser de la copie pour les portails gratuits des FAI ou des opérateurs télécom. J'ai dit "gratuits" ? Ah oui, j'ai dit "gratuits". Et je ne pense franchement pas que Niel ou Richard leur permettront de se palucher sur ce que doit être l'avenir du journalisme au XXIe siècle. Faudra produire, produire et encore produire. Innover, oui bien sûr, mais d'abord produire. La boucle sera bouclée, les cons tenus fabriqueront des contenus.
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