mardi 12 janvier 2010

La presse "old school" donne le La de l'info aux sites internet


Voilà une "news" qui risque d'attiser la querelle entre journalistes anciens et modernes,  dinosaures de la presse "old school" et jeunes forçats du Web partisans de l'info 2.0... Selon une étude toute fraîche menée par le très sérieux institut américain Pew Research Center qui a eu les honneurs d'une courte dépêche AFP, 95 % des "informations nouvelles" sont produites et publiées par les  médias traditionnels, quotidiens en tête ! Seules 4 % des actus proviendraient réellement des nouveaux médias de l'internet (sites d'infos "pure player", blogs, réseaux sociaux etc...). Une belle claque à tout ceux qui avaient déjà jeté la presse écrite avec l'eau du bain numérique. Mais qui a dit que ce bon vieux Gutenberg était mort ?
Sûrement pas les citoyens de cette bonne de ville de Baltimore, dans le Maryland. 
Une semaine durant, entre le 19 et le 25 juillet dernier, les experts du Pew Research ont épluché systématiquement les médias locaux : presse, stations de radio et de télévision diffusé, sites internet... Objectif de cette étude intitulée "How News happens, a study of the news ecosystem of one american city" publiée  sur le site Journalism.org : Savoir d'où vient l'information, qui la publie en premier, et qui la reprend ensuite en boucle... 

Après analyse minutieuse - statistique mais aussi qualitative - des résultats de cette enquête inédite, leur verdict est donc sans appel : 48 % des infos  sont à mettre au crédit des grands journaux locaux comme le "Baltimore Sun", 24 % des infos sont le fait des chaînes de télévisions, 13 % proviennent des publications spécialisées, 11 % radios et donc 4 % seulement des nouveaux médias (voir ce beau graphique ci-dessous).




Conclusion des chercheurs de Pew Center : "les informations publiées ou diffusées par des médias traditionnels donnent le La des sujets qui vont dominer l'actualité sur internet". Cette victoire sans appel de la vieille presse sur les nouveaux médias s'explique en grande partie par la disproportion des moyens mis en oeuvre : un desk web employant une dizaine de jeunes journalistes à tout faire (pour ne pas dire "OS de l'info") ne peut pas rivaliser avec une rédaction alignant 150 rubriquards, certes lents à réagir online, mais disposant d'un gros carnet d'adresses. Et ce d'autant plus que les quotidiens comme le "Baltimore Sun" diffusent évidemment leurs news sur leur propre site internet. Résultat, les sites émanant du Web seraient donc de vrais cancres de l'info, se bornant à reprendre en boucle les news diffusées par les grands médias : 83 % de leurs articles seraient en fait de vulgaires copiés-collé d'information publiées ailleurs, révèle l'étude... Exceptions qui confirment la règle de la duplication : un blog local isolé et le fil Twitter de la police de Baltimore se sont distingués en sortant des "Breaking News" reprises ensuite par les autres médias.

Voilà qui ne va pas plaire à tout le monde. D'ailleurs le rédacteur en chef du site Web d'un grand hebdomadaire me faisait remarquer hier sur Twitter (avec une certaine mauvaise foi ;-), que l'on ne pouvait tirer aucun enseignement d'une étude menée à Baltimore. Pour ma part je suis convaincu que si l'on passait au crible les infos publiées par les médias français, à Paris et ailleurs, on aboutirait strictement au même résultat. La faute au "duplicate content" comme disent nos amis américains, le bâtonnage de dépêches systématique a encore frappé...
 Une étude française cette fois, publiée en mai 2009 par les universitaires Franck Rebillard, Emmanuel Marty et Nikos Smyrnaios - à consulter ici et dont Bakchich a fait grand cas - a mis en lumière l'incroyable duplication de l'information sur Internet à l'occasion de la disparition en vol de l'Airbus AF447 au large du Brésil. Mais elle révèle que la standardisation de l'info est plutôt le fait des sites appartenant aux grands médias traditionnels... En l'absence d'infos sur les causes du crash, la plupart des rédactions web ont répliqué à l'infini les mêmes dépêches signées AFP, AP, Reuters...avant que des spécialistes de l'aéronautique ne s'en mêlent et signent des papiers anglés et plus originaux. Exception à la fameuse règle de Pareto qui veut que 20 % des sujets fournissent 80 % des articles : Rue89, Mediapart, Slate ou encore Bakchich... Quand tous les médias en ligne faisaient leur Une sur le crash, les "pure players" français ont joué la contre-programmation (parce que ne disposant pas d'abonnement AFP ?) avec leurs propres sujets.
Mais revenons à nos moutons de Baltimore. Les experts du Pew Center en arrivent aux mêmes conclusions concernant cette inquiétante standardisation de l'info sur internet. Pour eux :
- Le Web est clairement devenu le premier maillon de la chaîne de publication de l'information
- Mais plus l'info est diffusée rapidement en ligne, "plus la version officielle des événements est mise en avant" : "Nous avons retrouvé des communiqués de presse mot pour mot dans les premiers compte-rendus", constatent les auteurs de l'étude.
- "Dans la formidable chambre d'écho du Web, les procédures traditionnelles de citations des sources se perdent". Ca c'est bien vrai, le fairplay n'est pas une valeur montante dans la profession...



Le problème, constatent les chercheurs de Pew, c'est que "le modèle économique sur lequel est fondé le journalisme professionnel tend à disparaître". Résultat : "le nombre de personnes dont le métier est de chercher et trier l'information baisse fortement". Pour l'année 2009, le "Sun" a ainsi produit 32 % moins d'articles qu'en 1999...et 73 % moins d'articles qu'en 1991 ! Les plans sociaux et les "gains de productivité" qui ont décimé les rédactions sont passés par là... Le corollaire de cette paupérisation journalistique c'est donc la standardisation de l'info et le risque c'est que les citoyens soient de moins en moins bien informés alors même qu'ils ont l'impression de crouler sous une avalanche d'informations en temps réel. Déjà, le vrai scoop qui dérange les pouvoirs en place (politique, économique, militaire...) est devenu une espèce rare.  
Qu'en sera-t-il demain si les journaux deviennent tous de vulgaires entreprises à produire de l'info employant des OS rivés à leur écran, interdits de terrain et n'ayant plus le temps de décrocher leur téléphone pour vérifier ce qui tombe sur leur fil d'agence ? Après les fameux "forçats du web", l'avenir est peut-être malheureusement à la robotisation de l'information : j'en avais parlé dans cette chronique. Bientôt, si l'on en croit certains Doc Folamour, de vulgaires logiciels pourraient remplacer avantageusement ces emmerdeurs de journalistes pour produire le tout venant de l'actualité...  Moi je leur réponds : même pas en rêve coco ! Sur le papier comme sur le web, l'info reste un vrai métier et comprendre le sens de l'actu sera toujours affaire d'humanité. Go Gutenberg Go !



Jean-Christophe Féraud
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10 commentaires:

  1. Hello JC
    Je suis d'accord avec une partie de ton analyse. Mais il y a plein de trucs qui m'ennuient.

    1. Je maintiens que la situation à Baltimore est peu ou prou la même qu'à Cherbourg. ;). L'info locale — et de quelle info parle-t-on? — n'est pas encore à son top sur le Net en France ou sur le papier (situation de monopole, etc).
    2 Ça commence à devenir lourd d'opposer vieux médias à nouveaux médias. Les pure players et pas mal de blogueurs font le boulot que bcp de journalistes papiers radio télé ne font pas ou plus. Des pure players et des blogueurs font du travail de merde et republient en copié collé des communiqués de presse. Ce que pointe aussi le Pew.

    3. Lire encore cette histoire de journalistes forçats rivés sur leur écran commence aussi à me courrir sur le haricot pour être poli. Le mec du monde avait déjà rédigé un papier biaisé sur ce sujet, sans bouger le cul de sa chaise. Je ne te dis pas que c'est pas comme ça que ça se passe dans les rédactions web. Mais dans celle que je connais, c'est pas le cas.

    Et si les journalistes de ces sites sont rivés sur l'écran, c'est parce qu'il s'y passe des choses, du boulot à faire, des infos à vérifier. Et que ce boulot de base, comme le desk dans un vieux journal papier doit être fait parce que c'est de l'info et que le lecteur attend aussi ça. Sortir, ça n'est pas du luxe. Mais je peux donner dans la caricature: «sortir» ça reste le taf du «mec du papier» qui va rédiger trois articles par mois avec trois coups de fil et une bonne doc, en se gavant de note de frais ;).

    Il faut aller voir comment ça se passe à Médiapart ou à Rue pour ne citer qu'eux. Comment ça se passe dans des rédacs non pure players, avec des journalistes qui sortent. Et comment ça se passe chez certains pure players ou pas. Je ne pense pas que la standardisation ne soit que le fait du Web. C'était en cours avant. Le web n'a fait qu'accentuer ça, parce que le premier temps du web a été la course au plus gros. Et que le plus gros, pour l'instant, c'est celui qui publie le plus et le plus vite. Ça ne veut pas dire que d'autres modèles — de journalisme, commençons par parler de ça, avant de parler de modèle d'affaires — vont vivre. Pure players ou pas.

    Mais pour parvenir à ça, ça serait bien de ne pas caricaturer tout ça. C'est le souci que j'ai avec la lecture que tu fais du Pew. Bien sûr que le papier reste un lieu important, mais on s'en branle un peu du papier. Ce qui compte c'est la qualité de l'info, pas son support. Opposer l'un à l'autre ne fait pas avancer le biniou de la qualité de l'info. D'ailleurs, le Pew n'oppose pas les deux.

    Ex: ce que dit le Pew: «The Web is now clearly the first place of publication.»

    Pour terminer, le vrai souci, c'est que 85% des infos ne viennent pas des journaux/sites, 62% venant des autorités locales. Là, tu as raison. Où est la qualité qui va donner envie aux lecteurs d'aller lire de l'info, papier, smartphone, site, blogs peu importe? Le danger, tu as raison, est là. Pas dans la disparition de Gutenberg.

    Johan Hufnagel (Slate)

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  2. Un grand merci Johan pour ton commentaire très argumenté. En fait je pense que nous sommes 100 % d'accord, on s'en fout du media du moment qu'on offre de l'info originale au lecteur, qu'on lui apprend des choses, qu'on lui raconte de belles (ou pas)histoires aussi... J'ai joué un peu sur l'opposition web-papier mais au Xème degré.
    Tu prêches un convaincu : aujourd'hui nous sommes tous des forçats de l'info ! La fusion des rédactions web-papier est inévitable car l'avenir est sur le Net, sur les smartphones, la future Tablet d'Apple et autres mini-PC. Et nous devons tous écrire, filmer, enregistrer pour tous ces supports...Pour moi, le papier est mort à court terme (5 ans ? 10 ans ?, il servira juste de vitrines pour les journaux qui en auront encore les moyens ou il sera réservé à de belles revues. L'avenir est à la dématérialisation de la presse comme pour la musique : question de révolution des modes de consommation numériques mais aussi de gains de productivité et d'économies d'échelle sur la production et la distribution.
    Donc oui n'opposont plus jeunes et vieux, anciens et modernes, web et papier, intégrons plus les bloggueurs et le journalisme citoyen dans notre travail même si pour moi et sans corporatisme aucun l'info reste une affaire de professionnels...
    Au plaisir d'en reparler avec toi
    JCF

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  3. Certes, mais une autre étude du Pew montre que l'information proposée par les médias (ou si l'on préfère la couverture des événements) ne rencontre pas vraiment les centres d'intérêt du public (certains sujets sont "survendus", d'autres mal traités, etc.). Donc, attention, il ne suffit pas d'être la source encore faut-il répondre à l'attente du public. Le lien pour l'étude
    http://pewresearch.org/pubs/1451/top-stories-of-2009-public-interest-media-coverge

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  4. Intéressante cette autre étude étude Pew. C'est sûr les médias qu'ils soient papier ou web doivent écrire pour leurs lecteurs...mais pour moi le journalisme doit rester d'abord un métier d'offre. Attention au diktat marketing des études lectorat qui sont toujours très moutonnières.
    Merci pour le lien !

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  5. bonjour à vous trois,


    je reprendrai un autre point, mis en avant par Johan et que visiblement vous semblez apprécier: «The Web is now clearly the first place of publication.» Franchement, en dehors de vous, les professionnels qui passent leur temps sur le net, croyez-vous réellement que le lecteur s'intéresse au site qui publiera l'info en premier? Ca fait un peu guéguerre de celui qui a la plus longue...

    Surtout que, généralement, l'info publiée la première (hors scoop bien préparé) est souvent bâclée, avec, comme le répète l'analyse (et que vous pointez aussi) le point de vue officiel qui prime. Rien de mieux qu'une info brute suivie d'une analyse réfléchie, bien écrite et aboutie...

    Mais là, encore, rien ne dit que la presse papier soit plus à l'abris que le net: l'heure du bouclage est aussi pressante, voire plus, que l'heure de publication en ligne.

    Tristan (journaliste aussi, pas vraiment "net")

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  6. Oui tu as raison le lecteur (non professionnel) s'en fout de savoirt qui a tiré le premier dès lors qu'il se sent bien informé et prend plaisir à lire des papiers bien ficelés. De toute manière la vieille opposition web-papier n'aura bientôt plus lieu d'être. Aux Echos par exemple la rédac écrira bientôt indifféremment pour le Web et le papier...

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  7. A mon humble avis, il y a un biais fondamental dans l'étude Pew, qui remet en cause toutes les conclusions qu'on pourrait en tirer.

    "Les informations publiées ou diffusées par des médias traditionnels donnent le la des sujets qui vont dominer l'actualité sur le net" nous dit-on.

    Sauf que cette actualité-là, aussi dominée soit-elle par les médias traditionnels, ne domine rien du tout sur le net, qui n'est pas, principalement, un service d'information d'actualité pour ses utilisateurs.

    L'information d'actualité, c'est à dire "mise au format" du journalisme professionnel, ne "pèse" rien en ligne. C'est un service marginal, face aux services de socialisation, aux jeux, aux services marchands, et même aux blogs (pris dans leur ensemble), etc.

    La conclusion de PEW possède à peu près autant de sens que de dire, par exemple, que les utilisateurs de bicyclette "donne le la" sur ce que l'on dit de la bicylette dans les forums des sites marchands. C'est sûrement vrai, mais ça n'a pas beaucoup d'intérêt de le relever.

    Cette étude, à mon avis, relève de la même logique que celle qui consiste à chercher ses clés dans la nuit sous un lampadaire, car là, au moins, c'est éclairé...

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  8. Je rejoins en partie l'opinion de narvic, l'étude du Pew porte sur les sujets "d'opinion" et sans doute pas sur les sujets qui peuvent paraître plus triviaux (hobbies, loisirs, ...) qui font la grande majorité de la vie sociale et de la production de contenus sur le web.

    Une autre étude, publiée il y a presque un an, arrive d'ailleurs au même constat que le Pew Center (95% des infos discutées sont amorcées par les médias en ligne) avec un corpus centré uniquement sur des sujets politiques.
    http://portal.acm.org/citation.cfm?id=1557077

    En conclusion, on pourrait dire "Sur les sujets politique, la presse old school donne le la de l'info..."

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  9. Nous avons récemment posté une réflexion sur le même sujet : http://nekid.fr/2010/01/18/23-de-l%E2%80%99info-media-vient-de-la-presse-oui-mais%E2%80%A6/

    En espérant que la presse écrite réussira à ne pas céder aux caprices des usages propres à Internet...

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