lundi 5 juillet 2010

"Internet est une formidable opportunité de casser les codes journalistiques"

Ceci n'est pas une auto-interview ! Je suis un peu mégalo comme la plupart des plumitifs mais tout de même... Non cet entretien sur l'avenir du métier de journaliste est le fruit d'une rencontre avec Grégory Rozières, un jeune étudiant en 3ème année de journalisme à l'ISCPA qui m'a demandé (avec d'autres confrères) de me prêter au jeu des questions-réponses dans le cadre de son mémoire de fin d'études consacré au journalisme sur internet (à télécharger ici). Merci à toi Grégory qui a su mettre un peu d'ordre dans les méandres de ma pensée embrumée et le stacato de  ma parole caféïnée. Merci aussi de m'offrir matière à faire patienter les fidèles de ce blog en attendant un nouveau billet tout frais tout neuf à mon retour de vacances...c'est à dire mi-août. 
D'ici là bel été à tous ! Essayez de déconnecter un peu, la vraie vie IRL - soleil, plage, coquillages et crustacés - c'est quand même bien mieux que toutes ces journées et ces nuits No Life passées toute l'année devant l'écran blafard de nos ordis ;-)

Vous vous définissez comme un journaliste "old school"...comment êtes-vous venu au journalisme web ?
Je suis venu au web ces trois dernières années pour plusieurs raisons. Tout d’abord j’ai compris qu’il y avait un changement de paradigme important : l’information est en train de se dématérialiser, de la même manière que la musique s’est dématérialisée. Pour un journaliste, il faut évidemment être en ligne pour répondre au changement d’habitude de consommation des lecteurs. 
Il n’y a qu’à voir les chiffres de la presse quotidienne. Les moins de 30 ans s’informent sur internet, ils ne consomment plus de journaux, ce qui pose un problème économique pour nous car c’est la gratuité qui domine. De plus, à titre personnel j’ai eu besoin au bout d’un moment de trouver quelque chose de personnel sur internet : une certaine liberté de ton bien sûr, mais surtout un contact direct avec le lecteur. C’est quelque chose que l’on cherche forcément dans le métier mais qui n’a jamais vraiment été efficace sur le papier. Le courrier des lecteurs a toujours été géré comme une corvée par manque de temps. Internet permet d’avoir ce rapport. Le blog que j’ai lancé il y a presque un an m’a ouvert les yeux, beaucoup plus que je ne m’y attendais. L’irruption de Twitter a aussi beaucoup changé les choses pour le métier de journaliste. C’est un outil à mon avis avant tout professionnel, ça m’a amené à être beaucoup plus en temps réel sur l’actualité.

Le web a-t-il "déformaté" l’information ?
Ce que je constate sur la plupart des sites web c’est qu’il est rare de trouver la qualité que l’on trouve encore dans les grandes enquêtes du papier. Parce que d’une part les gens qui constituent les rédactions web sont des jeunes journalistes, mal payés, sans la profondeur historique du métier et l’expérience de quelqu’un qui a 10 ou 20 ans d’ancienneté derrière lui. De fait, les nouveaux formats que je vois sur internet, de manière générale, c’est surtout du flux. Ce sont des papiers très courts et les journalistes doivent en écrire trois ou quatre par jour. Bref, on ne peut pas demander à la nouvelle génération de faire des miracles avec des moyens et des deadlines impossibles. Maintenant, on trouve des gens très brillant sur le web, notamment sur les pure players comme rue89, Slate et ses blogs ou encore Owni. Tout cela, c’est du déformatage. Mais il n’empêche, l’impression dans son ensemble c’est une sorte d’hyper-formatage avec du flux, du flux et encore du flux : des contenus faits pour le web, des titres qui flashent, du marketing éditorial pour faire une information en réponse à une supposée demande.
Tout cela implique une énorme redondance de l’information. Quand on prend une grosse actualité, comme la fuite de pétrole dans le golfe du Mexique, il y a très peu de valeur ajoutée sur le web car les sites n’ont pas les moyens d’envoyer des gens sur place ou de faire des choses innovantes. Internet est donc une formidable opportunité de casser les codes, de faire des choses totalement différentes, de faire de l’humeur, du reportage, de réinventer la forme avec du visuel de l’interactif. Mais cela reste très marginal et l’information la plus visible, c’est du flux, sur la plupart des sites.


Quelles formes de journalisme pourraient justement faire oublier cette logique de flux ?
Tout peut marcher. Tout est nécessaire, à condition de s’en donner les moyens. On ne peut pas demander à quelqu’un dans une même journée de faire du flux, d’imaginer un web documentaire, d’animer une communauté… Ces fonctions et d’autres sont toutes importantes, et même capitales, pour fidéliser le lecteur et en trouver de nouveaux. Mais aujourd’hui les médias sont plutôt en perdition et diminuent les coûts tout azimut. Il y a moins de journalistes alors qu’il faudrait faire beaucoup plus, tout en réinventant le métier. Il y a un autre problème en France par rapport aux Etats-Unis : il n’y a jamais eu le moindre budget recherche et développement dans les grands journaux. Pour revenir à la question, le journalisme de données, le web documentaire, l’animation de communauté… toutes ces choses sont pour moi le présent souhaitable du journalisme et en tout cas l’avenir, c’est évident.

Certains contenus sont-ils destinés au format écrit, papier ?
Non, je pense qu’il faut raisonner sans exclusive. Le papier, du moins la presse quotidienne, en est à ses dernières années et va se dématérialiser. Il faut donc raisonner multi-supports : une enquête réalisée sur le terrain de plusieurs milliers de signes, mais enrichie en rich media a sa place sur le web, mais aussi sur les tablettes qui seront de bons supports pour cette information enrichie. Par contre, dire qu’il faut abandonner le format texte ou écrire court et mal, privilégier l’image et l’interactivité sur le fond, c’est une erreur. Il ne faut pas prendre les lecteurs pour des cons, il faut continuer à écrire pour eux tout en développant ces nouveaux formats. En gros, je pense que les longs formats ont toujours leur place, mais à condition d'être enrichis.


Que pensez-vous du journalisme participatif, de la gestion de la communauté, du rapport à l’audience sur internet ?
Peut-on tous être journalistes ? Est-ce que le journalisme est un métier ? Je vais être corporatiste, mais oui. Qu’il faille prendre en compte les commentaires des lecteurs, évidemment. Qu’il faille parfois les éditorialiser et les proposer en contenu, c’est une certitude. Le rapport aux blogs, qui ne sont pas en décrépitude et qui donnent de la fraicheur, doit aussi être étudié par les médias. On le voit avec l’exemple du Huffington Post et de Slate en France. Par contre, je ne crois pas que le journalisme participatif puisse remplacer un travail de couverture de l’actualité, de vérification de l’information, de recoupement des sources. C’est dans ces moments où les frontières du métier tendent à s’estomper qu’il faut réaffirmer la fiabilité des marques, des journaux, qui donnent des informations solides. Mais il ne faut pas pour autant s’enfermer dans sa tour d’ivoire sans écouter le lecteur. Il faut répondre aux commentaires, faire circuler l’information, pourquoi pas sur des réseaux sociaux, afin de donner aux gens le sentiment qu’ils sont associés à cette information, tout en appuyant sur l’origine de celle-ci. Penser que l’internaute veut de l’information sans savoir d’où elle vient, je pense que c’est faux. La marque des journaux, la traçabilité de l’information est nécessaire pour les gens.

Les tablettes comme l’iPad pourraient recréer cette notion de marque dans l’esprit des utilisateurs…
Apple a révolutionné la consommation d’information sur mobile, c’est clair. Mais il ne faut pas que la presse voit dans l’iPad la seule planche de salut possible. C’est un outil formidable mais qui a ses limites. A la croisée des chemins, la tablette rappelle l’univers du papier, avec en appui du richmedia pour les applications réussies. L’iPad est une opportunité pour les médias afin de se relancer dans le numérique mais ne sauvera pas à lui seul la presse. L’iPad et les tablettes pour moi, c’est en quelque sorte le journal papier de demain...à condition d'inventer de nouvelles formes de narration écrites, visuelles, sonores et bien sur interactives.

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